Explication de texte :
Extrait de La connaissance objective, K. Popper
« Puisqu’il est question de vérité, je tiens à préciser que notre but est de découvrir des théories vraies, ou tout du moins des théories qui se rapprochent davantage de la vérité que les théories que nous connaissons jusqu’à présent. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous puissions savoir avec certitude si une seule de nos théories explicatives est vraie. Il nous arrive de pouvoir critiquer une théorie explicative et d’établir qu’elle est fausse. Mais une bonne théorie explicative est toujours une anticipation audacieuse de choses à venir. On devrait pouvoir la tester et la critiquer, mais il sera toujours impossible de montrer qu’elle est vraie ; et, pourvu que l’on prenne le mot « probable » dans l’une des nombreuses acceptions qui satisfont aux exigences du calcul des probabilités, il sera toujours impossible de montrer qu’elle est « probable » (c’est-à-dire plus probable que sa négation). Pareil fait est loin d’être surprenant. Car, même si nous avons acquis l’art de la critique rationnelle, et l’idée régulatrice qu’une explication est vraie est une explication qui correspond aux faits, rien d’autre n’a changé. La méthode fondamentale pour le développement de la connaissance reste celle de la conjecture et de la réfutation, de l’élimination des explications inadaptées ; et, comme l’élimination d’un nombre infini d’explications de ce genre ne saurait réduire le nombre infini d’explications possibles qui survivent, Einstein peut s’égarer, tout comme l’amibe. »
Popper, La connaissance objective, chap. VII, p. 396.
Ce texte est un extrait de La connaissance objective écrit par Popper. Il y est question de la science et de la vérité. Dans ce texte il affirme qu’il est impossible de démontrer avec certitude la vérité des théories scientifiques et il explique au lecteur pourquoi. Son argumentaire se fait en deux temps, d’abord il montre qu’il est impossible de démontrer avec certitude la vérité d’une théorie (lignes 1 à 10) , ensuite il explique que cela est intimement lié à la méthode de démonstration des théories scientifiques qui reposent sur la conjecture puis la réfutation (lignes 10 à 16).
Première partie – L’impossibilité de démontrer avec certitude la vérité d’une théorie
Dès le début du texte, Popper affirme, que la science a pour objectif de découvrir la vérité, et plus exactement de développer des théories qui se rapprochent le plus possible de la réalité, autrement dit des théories vraies. Une théorie est un ensemble de propositions organisées visant à représenter une série de phénomènes observables dans le monde. La vérité quant à elle se définit comme l’adéquation d’un énoncé avec la réalité des faits. L’auteur nous dit qu’il est impossible pour l’homme de savoir « avec certitude si une seule de nos théories explicatives est vraie. » (ligne 4).
La science cherche à produire des énoncés explicatifs qui prennent la forme de théories. Un énoncé scientifique ne consiste donc pas seulement à décrire correctement la réalité mais à l’expliquer, c’est-à-dire à mettre en évidence des mécanismes de cause à effets. Par exemple, le soleil se lève tous les matins, parce que la terre tourne autour du soleil, c’est également ce qui permet d’expliquer que le soleil ne se lève pas à la même heure à différents endroits du globe. Une bonne théorie scientifique est une théorie qui anticipe correctement les évènements à venir. Ainsi ce qui fait la valeur d’une théorie scientifique, ce sont avant tout ses capacités de prédiction.
On peut tester et valider ou réfuter une théorie, mais on ne peut jamais dire qu’une théorie est probable. « On devrait pouvoir la tester et la critiquer, mais il sera toujours impossible de montrer qu’elle est vraie […] », et « il sera [également] toujours impossible de montrer qu’elle est « probable » (c’est-à-dire plus probable que sa négation). » On ne peut dire qu’une théorie scientifique est probable car elle repose sur des hypothèses, qui sont elles-mêmes probables, ainsi on ne peut conclure selon Popper qu’un énoncé qui repose sur des suppositions probables et non certaines, est lui-même probable. Rien ne prouve en effet que la probabilité de la supposition multipliée par la probabilité de l’énoncé soit supérieure à 50%, et il est dès lors impossible qu’une théorie est probable. Ainsi soit une théorie est démontrée fausse et dans ce cas elle est écartée, soit elle est considérée comme valable, tant qu’elle permet d’expliquer les évènements qui se produisent réellement.
Deuxième partie – Cette impossibilité découle de la méthode scientifique
Dans une deuxième partie Popper explique que ces caractéristiques propres aux théories scientifiques ne doivent pas nous étonner car ils sont simplement normaux et découlent de la méthode scientifique, qui permet aux hommes d’avancer vers la vérité repose sur une méthode bien précise. « La méthode fondamentale pour le développement de la connaissance reste celle de la conjecture et de la réfutation, de l’élimination des explications inadaptées… » (ligne 13). La seule manière que l’on a aujourd’hui d’avancer vers la vérité est d’éliminer les théories erronées et de ne conserver que les théories validées par les faits.
L’erreur peut être définie comme une représentation non adéquate de la réalité. La méthode scientifique veut que notre manière d’approcher la vérité consiste à produire des théories, à les confronter aux faits réels et à les réfuter si elles ne permettent pas d’expliquer la réalité observée. Dès lors l’erreur n’est pas négative mais au contraire source de progrès scientifique. Chaque fois que l’on découvre un énoncé inadéquat, on avance vers une représentation plus précise et plus juste de la réalité des choses. Cet extrait se conclut par une phrase marquante. L’auteur nous dit : « Einstein peut s’égarer, tout comme l’amibe » comparant ici le célèbre scientifique à un microorganisme vivant très volatile qui se déplace et change de forme facilement. Il nous semble que l’idée derrière cette métaphore est de dire que dans le domaine de la recherche scientifique, la recherche de la vérité se fait à tâtons, et personne n’est à l’abri de fournir une théorie erronée, d’énoncer une représentation qui s’avérera inadaptée à rendre compte de la réalité, pas même les plus brillants scientifiques.
Conclusion
Ce n’est pas parce que les théories scientifiques sont par définition faillibles que Popper remet en cause la valeur de la science à nous faire progresser. Cette faille est intrinsèque à la science, et ne remet pas en question les progrès qu’elle permet au demeurant dans la recherche de plus de vérité et plus de certitudes dans les explications humaines du monde.