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La politique est-elle un art ?

NOTIONS : LA POLITIQUE – L’ART – L’ÉTAT

Introduction

Analyse des termes du sujet : définitions et distinctions

Ici il convient de distinguer deux sens du terme politique : la politique comme science du gouvernement, exercice du pouvoir politique, débats menés par les hommes et femmes politiques, affaires publiques, procédures législatives, etc., et la politique (parfois on parle du politique) au sens plus large, entendue comme vie collective des hommes, vie organisée en société opposée à la vie solitaire. De même, par art il faut entendre d’abord une activité demandant du talent et de la créativité, qui peut être distinguée d’abord de la technique ou du simple protocole, mais plus largement on peut comprendre ici le terme comme proche du mot « artifice », technique ou construction sociale opposée à ce qui est naturel ou instinctif.

Première hypothèse

À première vue, il semble que le domaine de la politique réclame des procédures complexes et difficiles à élaborer afin de permettre à l’être humain de vivre en société de manière libre et pacifiée. De même, on semble reconnaître qu’il faut un certain talent, par exemple oratoire, pour « faire de la politique », et les hommes et femmes à qui on confie les affaires politiques semblent maîtriser un art ou une science politique, qui s’apprend et s’exerce.

Deuxième hypothèse

Pourtant, on pourrait observer que l’homme vit assez naturellement en société, et que la gestion de la vie collective, les délibérations qui y président, font appel à des facultés également partagées entre les individus : le langage, la raison… La démocratie notamment fait le pari que tous les citoyens sont à même de participer à la vie politique, et semble ainsi contester l’idée qu’elle soit réservée à une élite ayant développé un art de la vie en commun.

Problématique

Cette question pose donc problème car on ne sait pas si la politique est un artifice complexe permettant aux hommes de cohabiter, et réclamant des vertus particulières aux hommes et femmes qui le dirigent, ou si la politique est une chose naturelle aux hommes et ne réclamant que des facultés universellement répandues afin de pouvoir être exercée collectivement.

Enjeux

Cette question a des enjeux politiques car en fonction de la réponse que nous lui donnons il convient de réserver le gouvernement soit à un petit nombre capable de mettre son art au service des affaires de la cité, soit à tous les citoyens égaux dans leur possession des facultés naturelles nécessaires à l’organisation de la vie commune.

Annonce de plan

Dans un premier temps nous étudierons la première hypothèse selon laquelle oui la politique est un art car non seulement elle n’est pas naturelle à l’homme mais réclame une science fine afin d’être exercée. Puis nous explorerons la deuxième hypothèse selon laquelle non la politique ne relève pas de l’art mais nous est naturelle et peut être communément organisée. Enfin nous tenterons de sortir de ce problème en soulignant en quoi le pari démocratique est une manière particulière de répondre à cette question.

Première partie - Hypothèse 1

La politique est une construction artificielle réclamant une science particulière

Argument 1

Parce que l’hypothèse d’un « état de nature » dans lequel vivrait l’homme s’il était hors de toute société, sans être soumis à des lois, est communément l’hypothèse d’une vie chaotique, gouvernée par le conflit permanent entre les désirs égoïstes des individus. Pour sortir de cet état, il a donc fallu mettre au point un État artificiel capable d’encadrer la vie collective.

Exemple 1

On peut en faire l’expérience par exemple à chaque fois qu’on fait l’effort de mettre nos intérêts égoïstes de côté afin d’organiser au mieux l’intérêt collectif : cela demande d’opérer un détour et de faire preuve de volonté, cela va contre notre penchant le plus naturel.

Argument 2

Parce que les institutions politiques qui permettent d’organiser la vie collective sont complexes et demandent des connaissances et compétences afin d’être comprises et manipulées. L’État peut être représenté comme un ensemble de rouages dont les politiques sont les ingénieurs, car ils possèdent la science nécessaire à sa bonne gestion.

Exemple 2

Il existe par exemple des études de « science politique » dans lesquelles l’histoire, les sciences sociales, l’administration sont autant de disciplines utiles à la préparation d’une carrière politique compétente.

Argument 3

Parce que la politique est d’abord une science du langage, un art oratoire visant à obtenir le consentement de ses concitoyens afin de voir les affaires publiques nous être confiées. Être un homme ou une femme politique demande non seulement des compétences particulières mais aussi de maîtriser la rhétorique capable de les faire reconnaître par les autres citoyens.

Exemple 3

Les débats politiques sont par exemple souvent l’occasion d’un tel constat : il ne suffit pas d’être le plus compétent afin d’obtenir l’élection de ses concitoyens, mais il est nécessaire de maîtriser l’art oratoire à même de défendre ses idées et balayer les propositions adverses.

Référence

Dans son ouvrage intitulé Le Prince, Machiavel prodigue ses conseils à un gouvernant en matière d’art politique : d’après lui le Prince doit apprendre à développer son ingéniosité s’il veut résister aux aléas de la fortune et maintenir la paix parmi les différentes provinces qu’il gouverne.
L’un des talents principaux de l’homme politique, d’après Machiavel, consiste notamment à savoir utiliser le mensonge et la tromperie, afin de manipuler l’opinion publique à son avantage et éviter de tomber en disgrâce. Cet ouvrage de philosophie tend à démontrer également que la morale et la politique sont deux domaines bien distincts : afin de bien gouverner un pays, il faut savoir mettre de côté ses principes éthiques de côté et obéir à la « raison d’État ».

Transition

Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)

On a vu dans cette première partie que la politique est une construction artificielle et donc complexe, qui réclame des compétences particulières de la part des individus qui se consacrent au gouvernement de la cité.

Objection

Mais si l’on remet en cause ces présupposés pour observer une tendance naturelle de l’humain à vivre en société, ne peut-on également fonder la vie politique sur des facultés communément partagées ?

Deuxième partie - Hypothèse 2

La vie en société est naturelle à l’homme, et son organisation ne demande pas de science particulière

Argument 1

Parce que l’hypothèse d’un « état de nature » dans lequel l’homme vivrait hors de la société est contestée par les observations historiques et anthropologiques, et sert en réalité légitimer à posteriori des conclusions de philosophie politique.

Exemple 1

Les sciences sociales, par exemple, contestent la possibilité d’imaginer un être humain hors de toute société : l’humain s’est toujours associé collectivement pour satisfaire ses besoins matériels, à différentes échelles (la famille, le clan, la cité…) impliquant toute une organisation politique : des délibérations et des décisions, notamment.

Argument 2

Parce que les facultés nécessaires à cette organisation politique sont naturelles et universelles chez l’homme : tout individu possédant la capacité de raisonner et de discuter peut prendre part à la vie politique du groupe dans lequel il vit.

Exemple 2

La démocratie grecque était par exemple fondée sur le principe de l’isegoria qui reconnaît l’égalité dans la parole de tous les citoyens : au cœur de la politique, le débat en assemblée ne nécessite que la possession du langage pour participer aux prises de décisions politiques.

Argument 3

Parce que là où la création artistique fait appel à du talent afin de créer un œuvre singulière, à l’image de l’originalité de l’artiste qui la produit, la politique nécessite davantage de s’effacer derrière la recherche de l’intérêt général.

Exemple 3

On peut critiquer par exemple les hommes politiques cherchant à plaire à une part de la population et à marquer l’histoire de leur nom plutôt qu’à servir le bien commun au nom duquel on leur a confié les affaires de la cité.

Référence

Dans le dialogue de Platon intitulé Gorgias, Socrate affronte et critique les sophistes, maîtres de l’art rhétorique qui vendent leurs services aux politiques afin qu’ils emportent l’adhésion de leur concitoyens. Socrate leur oppose la science véritable, fondée sur de réelles compétences, grâce à un usage de la raison et de la philosophie.
Dans ce dialogue, le philosophe critique aussi Périclès, homme politique particulièrement renommé, qui a pourtant fini en prison et en disgrâce, car trop soucieux d’après Socrate de plaire à l’opinion publique. À l’inverse, le philosophe déclare être « le plus politique » des Athéniens, car constamment occupé à mettre son raisonnement au service de sa cité. Par là, Socrate indique que les principale vertus politiques sont l’usage de la raison et la recherche de l’intérêt général, accessibles à tout un chacun.

Transition

Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)

Dans cette partie nous avons vu que si la politique est une tendance naturelle chez l’homme, elle ne réclame également que des facultés minimales et la poursuite de l’intérêt collectif : elle n’est alors pas un art mais un exercice.

Objection

Mais nous allons voir que cette position est surtout valable en démocratie, voire constitue le critère déterminant afin de distinguer une politique démocratique.

Troisième partie - Sortie du problème

Le pari démocratique consiste justement à ne pas faire de la politique un art réservé à un petit nombre

Argument 1

Parce que si la politique est un art, qui demande d’exceller dans certaines compétences, et est donc par nature réservée à un petit nombre d’experts, on n’a à proprement parler pas affaire à une démocratie mais à une oligarchie.

Exemple 1

C’est ce qui est critiqué par exemple à travers ce qu’on appelle les « grands corps » d’État en France, qui forment notamment en science politique et en administration un petit nombre d’experts voués à diriger le pays à travers ses institution et ses grandes entreprises.

Argument 2

Parce que la démocratie a pour fondements l’égale éducation des citoyens afin de leur permettre une participation égale à la vie politique de la société, et ne suppose donc pas l’excellence dans un art raffiné et élitiste, qu’il serait impossible de transmettre au grand nombre.

Exemple 2

L’école démocratique est ainsi par exemple gratuite et ouverte à tous, afin d’armer chaque citoyen et citoyenne pour une participation active et éclairée à la vie politique de la société.

Argument 3

Parce que la démocratie peut être vue non comme un régime politique particulier mais comme l’exercice collectif de l’égalité et de l’émancipation : en ce sens, la politique relève d’un processus mené constamment par l’ensemble du corps social et non d’un art ou d’une procédure ayant un début et une fin et exercée par un agent individuel.

Exemple 3

La politique démocratique s’apparente ainsi par exemple davantage à une lutte collective vers la liberté et les droits qu’à un art : les principales avancées historiques de la démocratie sont ainsi davantage les acquis de luttes sociales que les décisions d’individus excellant dans un art politique.

Référence

Dans son Contrat social, Jean-Jacques Rousseau distingue nettement la démocratie (le gouvernement de tous par tous) de l’oligarchie (le gouvernement de tous par certains) : pour lui, dès qu’une société est dirigée par des représentants élus qui prennent des décisions en lieu et place de leurs concitoyens, on glisse de la démocratie vers l’oligarchie. Rousseau défend à l’inverse une démocratie directe, faite de délibérations permanentes, uniquement possible dans des groupes de petite envergure. Il permet de nous faire saisir la difficulté du pari démocratique, qui nécessite la participation et l’effort constant de tous les individus si l’on veut que ce soit la « volonté générale » qui soit au pouvoir, comme l’écrit Rousseau, et non les volontés individuelles des dirigeants.

Conclusion

Résumé des trois parties

Nous avons d’abord montré que si la politique est la construction d’un édifice et d’institutions artificielles, alors elle réclame peut-être des compétences particulières et réservées aux dirigeants. Mais cette première approche nous a parue contestable et nous avons défendue l’idée que des facultés communes parmi les hommes suffisent à l’organisation de la vie collective. Dans un dernier moment nous avons indiqué comment la démocratie parie sur le fait que la politique n’est pas un art individuel mais un effort collectif vers l’égalité et la liberté.

Enjeux de la réponse proposée

Si nous prenons cette réponse au sérieux, les conséquences sont que le gouvernement politique ne doit pas être réservé à une élite à laquelle nous déchargeons nos droits civiques, mais doit rester l’affaire de tous et toutes à travers une délibération et un effort permanent.

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