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Faut-il se méfier du langage ?

NOTIONS : LE LANGAGE – LA VÉRITÉ – LA POLITIQUE

Introduction

Analyse des termes du sujet : définitions et distinctions

A bien distinguer des langues, qui sont plurielles et sources d’incompréhension entre les hommes sans effort de traduction, le langage désigne une faculté universelle chez l’être humain. Il participe entièrement aux capacités cognitives et politiques de l’homme : c’est le langage, qui peut être défini comme un système conventionnel de signes permettant de nous comprendre les uns les autres, qui rend possible de discuter et de résoudre les problèmes touchant la recherche de la vérité comme du bien commun. S’en méfier, cela voudrait dire ne pas lui accorder notre confiance dans ces buts qui lui sont communément attribués, mais au contraire anticiper que le langage puisse nous trahir, nous tromper, servir de mauvais objectifs. On se méfie de ce dont on a expérimenté ou de ce dont on peut prédire les mauvais effets. Se demander s’il faut se méfier du langage, c’est donc se demander s’il existe de bonnes raisons pour qu’il soit nécessaire de lui retirer notre confiance.

Première hypothèse

À première vue, nous avons plutôt naturellement confiance dans le langage, qui nous permet d’avancer tant dans la recherche de la vérité que du bien commun. C’est à l’aide du langage que nous pensons et nous nous mettons d’accord, et nous méfier en permanence du langage reviendrait à porter un regard méfiant tant sur les opérations de la pensée que sur les paroles d’autrui, ce qui rendrait précaire, voire impossible, la vie humaine. Notre première hypothèse est donc que le langage est une faculté qui semble nécessiter notre confiance pour être utilisée : si nous nous méfions du langage, nous portons un doute sur la majorité des activités humaines.

Deuxième hypothèse

Pourtant, il semble par ailleurs bien nécessaire de se méfier du langage : si c’est un outil essentiel à l’homme, le langage démontre sans cesse ses limites et son emploi s’accompagne souvent de dommages collatéraux. C’est au sein du langage que le mensonge (l’énonciation du faux en connaissance du vrai) est par exemple possible, mais aussi le malentendu, la manipulation, l’insulte… On peut donc dans un deuxième temps faire l’hypothèse que le langage est une faculté dont il faut se méfier si nous voulons qu’elle serve ses usages légitimes : il faudrait « surveiller » notre langage, trop de confiance dans le langage reviendrait à permettre un emploi détourné et dangereux de cette faculté.

Problématique

Cette question pose donc problème car on ne sait pas si se méfier du langage est une décision entraînant l’abandon de toutes les activités humaines permises par le langage ou si au contraire cette méfiance est nécessaire justement pour préserver ces activités des vices possibles d’un langage non critiqué.

Enjeux

Cette question a des enjeux scientifiques et politiques puisque nous avons dit que le langage sert à rechercher et débattre de la vérité, et à se mettre d’accord dans le champ social, à communiquer nos sentiments à autrui.

Annonce de plan

Dans un premier temps, nous étudierons la première hypothèse selon laquelle non, il ne faut pas se méfier du langage car cette faculté est la condition de possibilité de la majorité des activités humaines. Dans un deuxième temps, nous explorerons la deuxième hypothèse selon laquelle oui, il est nécessaire de se méfier du langage car c’est cette méfiance même qui rend possible son emploi fructueux. Enfin, nous essayerons de sortir de ce problème en rappelant que l’être humain ne peut sortir du langage et qu’une trop grande méfiance à son encontre a des raisons de sembler suspecte.

Première partie - Hypothèse 1

Une confiance naturelle dans le langage est légitime

Argument 1

Parce que c’est dans le langage que s’opère la recherche de la vérité, qu’on définit communément comme rapport adéquat d’un énoncé avec la réalité qu’il décrit. C’est ainsi davantage du rapport que je crois exister entre le langage et la réalité que je dois me méfier.

Exemple 1

Ce que je nomme un lac est-il par exemple bien un lac et non pas un mirage ? Je ne dois pas me méfier ici du mot lac mais de l’emploi potentiellement trop rapide et erroné que j’en fais pour décrire ce que je perçois par la vue.

Argument 2

Parce que c’est grâce au langage que nous pouvons discuter avec les autres et être convaincus de nos erreurs pour les abandonner.

Exemple 2

C’est grâce au langage qu’un ami peut par exemple me démontrer que je me trompe et corriger mes croyances ou mes énoncés erronés : c’est par le langage lui-même qu’on peut améliorer notre langage et notre représentation du monde

Argument 3

Parce que c’est aussi grâce au langage que nous pouvons délibérer du bien commun et organiser collectivement la politique qui caractérise la vie humaine.

Exemple 3

Une condition principale de la démocratie est par exemple la possibilité de discuter collectivement des décisions politiques et des lois qui ordonnent la vie commune. C’est grâce au langage que le débat et la résolution des conflits est possible.

Référence

Dans La Politique, Aristote défend l’idée que l’homme est un « animal politique », c’est-à-dire un être naturellement capable de délibérer du bien commun et d’organiser intelligemment sa vie collective en fonction de cette délibération. Cette capacité politique est rendue possible par le langage, que la nature nous a accordé, d’après Aristote, en vue de nous permettre de mener une vie politique et non pas solitaire et chaotique. Si on suit ses thèses, il faudrait donc faire confiance au langage, qui est un don naturel rendant possible la discussion et le dépassement des différends entre les hommes. Le langage caractérise l’homme comme être intelligent et social, et le place au-dessus des autres animaux qui ne le possèdent pas, d’après Aristote.

Transition

Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)

Nous avons pour le moment vu que ce n’est pas du langage que nous devons nous méfier, puisqu’il nous permet de débattre de la vérité comme de la bonne manière de vivre en commun.

Objection

Mais une trop grande confiance dans le langage ne nous fait-elle pas prendre le risque de manquer ces deux nobles objectifs ?

Deuxième partie - Hypothèse 2

Il est nécessaire d’être méfiant à l’égard des pièges du langage

Argument 1

Parce que c’est dans le langage que se recherche et s’élabore la connaissance vraie, mais c’est aussi dans le langage précisément qu’il est possible de mentir, c’est-à-dire d’énoncer le faux alors qu’on connaît le vrai.

Exemple 1

Si je sais que la Terre tourne autour du Soleil mais que j’apprends l’inverse à un enfant, ce n’est par exemple pas une erreur mais un mensonge, rendu possible par le langage et le jeu qu’il permet dans la description de la réalité.

Argument 2

Parce que le langage permet aux hommes de débattre mais aussi de séduire, de persuader, de manipuler, c’est-à-dire non pas d’avancer conjointement vers la vérité ou le bien mais plier autrui à nos visées égoïstes.

Exemple 2

Il est courant de se rendre compte que les mots employés par autrui, un proche ou un homme politique par exemple ont été expressément choisis pour produire un effet sur nos sentiments, par exemple notre peur ou notre colère, et non pas mener une discussion qui fait appel à notre raisonnement.

Argument 3

Parce que le langage peut mener à l’entente entre les hommes, mais rend également possible le malentendu : si nous pouvions nous passer du langage pour partager nos pensées ou utiliser un langage parfait, nous ne risquerions pas la mauvaise compréhension qui peut être source d’erreurs ou de conflits.

Exemple 3

Le langage est par exemple le lieu de la polysémie ou du jeu sur les mots qui permet l’humour et le second degré, autant d’éléments de langage qui viennent souvent brouiller la bonne compréhension du discours d’autrui.

Référence

Dans le dialogue de Platon intitulé Gorgias, Gorgias, qui est un sophiste, c’est-à-dire un maître dans l’art d’utiliser la parole pour persuader, se vante d’obtenir plus de succès qu’un véritable médecin pour obtenir des malades qu’ils prennent leur médicament. Si on pourrait conclure dans ce cas précis à une vertu du langage, cet exemple montre en réalité que le discours peut manipuler sans être fondé sur une connaissance véritable. Le langage possède un pouvoir presque magique, dont il faut se méfier, comme on se méfie d’une arme qui peut défendre mais également blesser mortellement. Le philosophe, d’après Platon, se méfie du langage et le soumet à un examen critique grâce à l’usage de la raison.

Transition

Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)

À la fin de cette partie, il paraît donc évident que nous avons de bonnes raisons de nous méfier du langage si nous ne voulons pas être victimes de ses pouvoirs potentiellement destructeurs.

Objection

Mais si nous ne pouvons pas nous passer du langage, y compris pour exercer cet examen critique, une trop grande méfiance n’est-elle pas vaine, voire suspecte ?

Troisième partie - Sortie du problème

Il faut se méfier d’une trop grande méfiance à l’égard du langage

Argument 1

Parce que chercher à perfectionner le langage, à l’épurer de ses imperfections s’accompagne d’un appauvrissement de moyens que nous avons de nommer, nous exprimer et réfléchir. Projet qui devient extrêmement suspect lorsqu’il devient un programme politique.

Exemple 1

Victor Klemperer, linguiste juif Allemand, a par exemple étudié dans ses carnets la « langue du IIIe Reich » et décrit comment un régime totalitaire raciste peut imposer une vision du monde à travers un langage corrigé, prétendument perfectionné, pour effacer la présence de celles et ceux qu’il opprime.

Argument 2

Parce que se concentrer sur les imperfections du langage et chercher à le simplifier pour supprimer la possibilité du malentendu, c’est négliger les usages riches et créatifs du langage qui découlent d’un rapport poétique ou tout simplement singulier au monde.

Exemple 2

Lorsque par exemple deux amis ne trouvent pas les mots pour se comprendre ou partager leurs émotions, c’est une confrontation entre leurs deux rapports au monde subjectifs et singuliers qui a lieu. C’est pour cela que les poètes ont un rapport original au langage et créent des mots ou des expressions afin de coucher sur le papier leur rapport au monde particulier.

Référence

Dans Les données immédiates de la conscience, Henri Bergson décrit comment l’artiste tente de dépasser ou contourner les limites du langage quotidien par des artifices littéraires. Pour décrire le plus authentiquement nos émotions profondes et singulières, il faudrait d’après Bergson développer un rapport créatif au langage, et se méfier non pas de ses imperfections ou de la possibilité du malentendu, mais plutôt de sa normalisation au sein de la société, qui efface les différentes perceptions du monde, par exemple en nommant du même mot des sentiments très singuliers et différents selon les individus. Il faut se méfier de notre méfiance à l’égard du langage pour plutôt nous saisir personnellement de la richesse de cet outil, dont les ambiguïtés sont une opportunité autant qu’un risque.

Conclusion

Résumé des trois parties

Nous avons d’abord montré que nous méfier du langage ce serait mettre en doute la faculté qui nous permet de décrire le monde, de débattre de la vérité ou de la manière dont nous pouvons décider de vivre collectivement. Mais c’est précisément pour ces raisons que nous avons vu dans un deuxième temps qu’il fallait nous méfier du mensonge, de la manipulation, et du malentendu, qui sont autant de pièges propres au langage. C’est pourquoi dans un dernier moment, rappelant que nous ne pouvons dire « adieu au langage », il convient également de nous méfier de la tendance à vouloir le perfectionner, et laisser exister, au sein des anfractuosités du langage, la possibilité d’exprimer des rapports singuliers au monde.

Enjeux de la réponse proposée

Si nous prenons cette réponse au sérieux, les conséquences sont qu’il faut limiter les ambitions de la logique et de la science à clarifier le langage, mais défendre un rapport créatif à cette faculté. Il ne faudrait alors pas nous méfier du langage mais être confiant en notre capacité à nous entendre malgré les discordances que nos emplois différents du langage entraînent.

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