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Fiche vérifiée

La connaissance rationnelle exclut-elle la croyance religieuse ?

NOTIONS : LA RAISON ET LE RÉEL – LA RELIGION

Introduction

Analyse des termes du sujet : définitions et distinctions

La connaissance rationnelle a pour caractéristique d’être capable de rendre raison de ses résultats : on ne parle de connaissance (et non d’hypothèse ou de conviction) que si on a affaire à un énoncé ou une théorie dont on peut assurer, prouver le contenu, par exemple par des expériences ou des calculs. La connaissance est dans ce cas dite rationnelle parce qu’elle obéit aux règles de la raison et exclut nos affects, nos choix ou nos croyances personnelles. Ces croyances reposent en effet sur notre éducation, la vision du monde qu’elle nous a transmise, ou sur notre histoire individuelle, les conversions que nous vivons au cours de notre vie, en fonction de nos choix ou de dogmes reconnus comme bons par notre famille ou la société dans laquelle nous vivons. La croyance religieuse ainsi davantage de la position éthique, et concerne ce que nous trouvons bon, la vie que nous trouvons digne d’être vécue, conformément à la religion dont nous suivons les dogmes. « Exclure » signifie dans le cas qui nous occupe avoir besoin de rester séparé de…, n’avoir rien à voir avec…, voire se construire à l’opposé de…

Première hypothèse

Dans un premier temps c’est bel et bien un rapport d’exclusion qui semble exister entre ce qui relève de deux rapports au monde et à son explication radicalement différents. Une connaissance ne semble pouvoir se déclarer rationnelle qu’à condition de s’affranchir de l’autorité des dogmes, et notamment des dogmes religieux, sans hésiter à les questionner, voire à les contester. Ne semble pouvoir aboutir à une connaissance rationnelle qu’une attitude qui met ses préjugés à l’épreuve du réel, et s’oppose ainsi à la confiance qui caractérise le croyant. Pour se constituer, la connaissance semble avoir besoin de tenir à distance la croyance.

Deuxième hypothèse

Pourtant on peut se demander si la volonté d’accéder à une connaissance rationnelle du monde implique réellement de rejeter toute forme de croyance religieuse. Si en effet ce sont bien deux rapports au monde différents, peut-être n’y a-t-il en réalité aucune incompatibilité totale et radicale entre connaissance et croyance. Peut-être, par exemple, la connaissance rationnelle n’exclut-elle que certaines formes de croyances : celles qui sont intolérantes et excluent elles-mêmes, en l’interdisant, l’accès à la connaissance rationnelle. Peut-être est-il alors possible de faire cohabiter foi et raison au sein d’une même société ou d’un même individu.

Problématique

Cette question pose donc problème car on ne sait pas si la connaissance rationnelle a fondamentalement besoin d’exclure toute croyance religieuse afin de se constituer en respectant ses propres critères, ou si la séparation des deux sphères ne permet pas justement une cohabitation pacifique de la connaissance et de la croyance, fondée sur la tolérance et le respect des règles propres à chacune des deux.

Enjeux

Cette question a des enjeux scientifiques, éthiques et politiques car elle concerne tant les conditions de possibilité du savoir scientifique, que de la cohabitation entre foi et raison au sein d’un individu comme d’une société.

Annonce de plan

Dans un premier temps nous étudierons la première hypothèse selon laquelle oui, la connaissance rationnelle exclut la croyance religieuse, car les exigences de la raison s’opposent à l’attitude religieuse. Puis nous explorerons la deuxième hypothèse selon laquelle non, il n’y a peut-être pas de rapport d’exclusion entre les deux, qui peuvent cohabiter. Et nous essayerons enfin de sortir de ce problème en insistant sur le fait que c’est la franche distinction et indépendance de la connaissance rationnelle et de la croyance religieuse qui peut permettre leur coexistence pacifique.

Première partie - Hypothèse 1

La raison doit exclure la croyance pour constituer ses connaissances

Argument 1

Parce que la recherche rationnelle nécessite de dépasser, voire abandonner, l’attitude d’acquiescement qui caractérise la croyance. Pour accéder à une véritable connaissance, il faut exercer une interrogation libre, active et personnelle à l’égard du monde, remettre en cause ses certitudes, soumettre ses préjugés et croyances à un examen rationnel.

Exemple 1

Galilée, par exemple, n’a initié ses recherches astronomiques que parce qu’il s’est efforcé de remettre en doute ses croyances et celles de son temps selon lesquelles la Terre était au centre de l’Univers. S’il n’avait fait qu’accepter sans le critiquer le système astronomique hérité de Ptolémée, jamais il n’aurait avancé ses propres hypothèses.

Argument 2

Parce que l’exigence de la démonstration ne permet pas seulement de prouver des énoncés existants mais également d’en découvrir d’autres le long du chemin démonstratif emprunté par l’esprit humain. Cette exigence pousse en effet à avancer des hypothèses débouchant parfois sur de nouvelles découvertes.

Exemple 2

Ce fut par exemple le cas de Galilée qui subit un procès de l’Inquisition catholique pour avoir osé soutenir ses hypothèses héliocentriques en astronomie alors que la Bible décrit le mouvement du Soleil. La légende veut qu’à la fin de son procès, après avoir reconnu publiquement son erreur afin de conserver la vie, il aurait murmuré : « et pourtant, elle tourne ! ».

Argument 3

Parce que la raison doit sans cesse renouveler la critiquer de ses résultats pour éviter qu’ils se constituent eux-mêmes en croyance : l’histoire des sciences est faite d’un tel renouvellement et de telles corrections, alors que le dogme religieux reste inchangé à travers les siècles.

Exemple 3

Galilée encore a constitué son système, par exemple, contre celui d’un autre astronome, Ptolémée, et défendait que c’était une manière de continuer le travail scientifique de ses prédécesseurs que de remettre en question leurs résultats pour proposer des hypothèses plus rationnellement fondées.

Référence

Dans La critique de la raison pure, Emmanuel Kant distingue opinion, foi et savoir : l’opinion n’est ni subjectivement ni objectivement certaine, la foi est subjectivement certaine mais n’est pas prouvée objectivement, le savoir est certain tant subjectivement qu’objectivement. Bien sûr, la foi est plus fermement établie à l’intérieur de nous que l’opinion, que nous sommes prêts à remettre en cause facilement, mais elle ne possède aucune preuve extérieure : nos croyances sont uniquement fondées sur ce qu’on nous a appris ou sur les dogmes que nous décidons de suivre pour des raisons éthiques, d’après Kant. En revanche, le savoir est à la fois certain subjectivement (nous sommes sûrs de nous) et objectivement (nous sommes capables de donner des preuves réelles de ce que nous avançons). Il ne faut donc pas confondre foi et savoir, mais les maintenir clairement séparés.

Transition

Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)

À la fin de cette première partie, il pourrait sembler évident que la connaissance rationnelle exclut la croyance religieuse en ce qu’elle demande d’en sortir, d’en être protégée, et cherche même à éviter d’y revenir.

Objection

Mais si une telle séparation est possible, ne peut-on trouver des formes de croyances religieuses qui ne soient pas incompatibles avec la connaissance rationnelle ?

Deuxième partie - Hypothèse 2

Toute croyance religieuse n’est pas nécessairement interdite par la connaissance rationnelle

Argument 1

Parce qu’il existe des formes de croyances tolérantes à l’égard des initiatives de la raison, voire même à l’égard des critiques que la raison adresse au contenu des dogmes religieux.

Exemple 1

Face aux avancées de la science concernant l’origine de l’Univers ou l’apparition de la vie sur Terre, par exemple, de nombreux croyants et théologiens reconnaissent une valeur uniquement métaphorique ou éthique aux Écritures sacrées, ce qui s’oppose à une position littéraliste, c’est-à-dire qui ne tolère aucun écart avec le contenu du texte.

Argument 2

Parce que certaines religions encouragent même leurs pratiquants à l’exercice de la raison, considérée comme une caractéristique des créatures de Dieu. Plus qu’être tolérante à l’égard de la recherche rationnelle, la religion est alors une invitation au développement de la connaissance.

Exemple 2

Galilée lui-même était par exemple très croyant, et considérait que c’était rendre hommage à son Dieu et à sa création que de mener ses recherches scientifiques. L’un de ses arguments pour soutenir ses hypothèses héliocentriques était même que ce système était plus élégant, plus conforme à la beauté que doit receler un monde créé par Dieu.

Référence

Dans son Discours décisif, le philosophe Averroès défend l’idée que la raison et la foi religieuse sont compatibles, et que la religion et ses Écritures sacrées (dans son cas, le Coran) invitent expressément à l’usage de la raison. Il cite par exemple un verset du Coran : « Réfléchissez donc, ô vous qui êtes doués de clairvoyance. » La connaissance rationnelle n’est donc pour Averroès pas uniquement tolérée par les préceptes religieux, mais encouragée. Elle serait même un devoir pour le croyant soucieux d’honorer les facultés que lui a accordées son créateur divin.

Transition

Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)

Dans cette partie, nous avons vu comment la croyance religieuse pouvait être compatible avec la connaissance rationnelle : en acceptant ses critiques, voire en encourageant au libre exercice de la raison.

Objection

Mais il semble nécessaire de rappeler que c’est une stricte indépendance de la foi et de la raison qui paraît seule capable de garantir leur cohabitation au sein d’un individu ou d’une société.

Troisième partie - Sortie du problème

Il faut maintenir la foi et la raison strictement indépendantes l’une de l’autre afin de conserver la possibilité de leur cohabitation

Argument 1

Parce qu’il est important de maintenir bien distingués les objets propres à la connaissance rationnelle et à la croyance religieuse : l’une se préoccupe de ce qui est vrai au sens de ce qui est scientifiquement prouvable, et l’autre de ce qu’il est bon suivant des préceptes religieux.

Exemple 1

La science peut par exemple dire qu’il est possible de cloner un être humain, mais il ne lui appartient pas de dire si c’est une bonne chose de le faire (c’est une question éthique).

Argument 2

Parce que reconnaître les limites réciproques de la foi et de la raison peut permettre que l’une et l’autre ne se gênent pas dans leurs objectifs propres mais au contraire cohabitent, voire s’allient pour affronter des problèmes à la fois scientifiques et éthiques.

Exemple 2

Dans des débats bioéthiques, par exemple, cohabitent des scientifiques et des représentants de différentes religions : si la science peut fournir des informations concernant l’activité biologique d’un embryon, par exemple, c’est un débat éthique et politique que de déterminer la période légale pour avorter.

Argument 3

Parce qu’une telle indépendance permet à la fois à la connaissance rationnelle de ne pas dépasser ses ambitions légitimes et de ne pas devenir intolérante à l’égard des discours éthiques qui l’entourent, et à la croyance religieuse de reconnaître les limites d’application de son propre discours et de ne pas se transformer en fanatisme.

Exemple 3

Il serait par exemple tout aussi absurde qu’on interdise de croire en Dieu et de suivre des préceptes éthiques tolérants à l’égard des autres au nom de la science qu’on interdise de mener une recherche rationnelle au nom de dogmes religieux.

Référence

Dans une de ses Lettres à Castelli, Galilée distingue bien les vérités qui relèvent du domaine de la raison et celles qui appartiennent à la religion : pour lui l’homme possède la raison pour découvrir les vérités qui lui sont accessibles grâce à cette faculté, et qui sont en nombre indéfini. Pour Galilée, il ne faut suivre les dogmes religieux que dans les domaines où la science humaine est incapable d’atteindre la certitude. On peut lire dans cette lettre de Galilée la distinction que nous avons opérée entre une vérité scientifiquement démontrable et ce qui relève de la discussion et décision éthique et qui n’est pas démontrable scientifiquement.

Conclusion

Résumé des trois parties

Nous avons d’abord montré que la connaissance rationnelle s’oppose à la croyance religieuse et doit se maintenir séparée d’elle afin de répondre à ses objectifs propres. Mais nous avons ensuite montré que certaines formes de croyances religieuses tolèrent, voire encouragent au libre exercice de la raison et ne doivent donc pas nécessairement se trouver exclues par la connaissance rationnelle. Dans un dernier moment, nous avons insisté sur le fait que c’est la séparation et l’indépendance des deux sphères, de leurs objets et de leurs prétentions qui peut permettre d’espérer une cohabitation de la foi et de la raison.

Enjeux de la réponse proposée

Si nous prenons cette réponse au sérieux, les conséquences sont qu’il est tout à fait possible pour un individu d’être à la fois un fervent croyant et un scientifique répondant aux normes de la raison. De la même manière, une société en grande partie guidée par la science n’a aucune raison d’interdire la religion, et vice versa, si on maintient séparés ces deux champs d’exercice de l’esprit humain, répondant tous deux à des problématiques différentes et tout aussi cruciales pour l’homme.

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