L’art
Questions découlant de cette définition
Peut-on définir l’art ? Y a-t-il des critères objectifs de beauté ? Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Est-il possible d’en donner une définition ?
L’art imite-il le réel ou permet-il de s’en détacher ? L’art est-il ce qui révèle le réel en nous montrant un rapport au monde différent ou est-il une copie de la réalité ?
Est-il possible de pratiquer un art politiquement neutre ? Si l’art a un pouvoir quel est-il ?
Peut-on séparer la forme et le fond ? Peut-on séparer l’artiste de l’œuvre qu’il produit ?
Définitions de la notion
Le terme "art" peut se comprendre de deux manières :
Ce dernier sens peut d'abord sembler similaire à l’étymologie du terme puisque faire quelque chose de beau nécessite une certaine maitrise et connaissance de son art ainsi qu’une technique bien précise, mais il s’en distingue car cette connaissance n’est plus absolument nécessaire et le seul fait de pratiquer peut permettre d’arriver à faire des choses belles. On parle alors d’expérience dans la pratique artistique, ou alors d’empeiria.
La teckné, l’art, est-elle radicalement différente de l’emperia, l’expérience, ou au contraire sont-elles complémentaires ?
Concepts
Art
Au sens large, l’art désigne tout ce qui s’ajoute à ou modifie la nature, tout ce qui est "artificiel". L’art, dans son sens premier, renvoie aux compétences techniques de l’artisan ou du technicien nécessaire pour produire. Au XVIIIème siècle les termes d’art, ou "beaux-arts" et de technique se distinguent.
Technique (tekhné)
Ensemble des moyens mis en œuvre pour transformer la nature afin de l’adapter aux besoins humains. Ainsi, l’art au sens de technique désigne des moyens utilisés de manière optimale pour arriver à des fins précises.
Beaux-arts
Terme qui nait au XVIIIe siècle et qui définit le domaine de l’art comme celui de la production artistique d’œuvres faites pour la seule contemplation. Il nait par opposition au sens de l’art en tant qu’il est une technique.
Instrument
Objet fabriqué dans un but précis d’utilisation. L’artisan (celui qui maitrise un art), utilise des instruments pour produire un objet.
Esthétique
Théorie philosophique qui se donne pour objectif de déterminer ce qui provoque, chez l’homme, le sentiment que quelque chose est beau.
Beauté
Terme très discuté en philosophie et en philosophie de l’art du fait de son caractère subjectif. Il désigne la qualité de ce qui est beau. Seulement, en philosophie de l’art la beauté est un sentiment qui traduit le plaisir qu’un objet produit sur notre sensibilité et qui diffère selon le goût de chacun.
Imitation
Processus par lequel l’art imite la nature.
Selon une conception qui considère que l'art imite la nature, la nature serait l’original et l’art prendrait pour modèle cette nature parfaite. Seulement les œuvres d’art permettent parfois de saisir ce qu’il y a de vraiment réel dans la nature, d’ouvrir les yeux et de mettre en évidence des aspects de la nature inexplorés. Ainsi l’art imite certes, mais elle permet également de mieux lire le réel.
Œuvre
Opera, en latin "travail".
Objet physique ou virtuel résultant d’un travail réalisé par l’homme. Les œuvres d’art, sont ainsi très difficiles à traduire ou à déchiffrer et font l’objet de nombreux débats.
Artisan
Individu agissant selon des règles acquises lors d’un apprentissage au service de l’utile et dont l’objectif est la production d’un bien matériel et fonctionnel. Exemple : un peintre de chantier a pour fonction d’étaler une couche de couleur sur les murs afin de les rendre plus esthétiques, il est payé pour une tâche précise et utilitaire.
Artiste
Individu qui, lors du processus de création artistique d’une œuvre, se fixe lui-même ses règles, au service du beau. Exemple : un peintre qui expose ses toiles dans un musée peint pour son plaisir et suivant des règles qu’il se fixe lui-même, ainsi il s’affranchit des règles déjà existantes.
Jugement esthétique
Le jugement esthétique renvoie à un certain type de jugement qui se traduit par un regard désintéressé sur un objet, indépendamment de son utilité ou de son attraction sensuelle.
Beau
Propriété d’un objet beau, c’est-à-dire qui est reconnu comme répondant à certains critères de beauté par moi et par autrui.
Agréable
Sensation perçue de manière individuelle et subjective donnant lieu au jugement de l’objet comme beau.
Sublime
Caractère de ce qui va au-delà même du beau en mettant en scène les infinis, les extrêmes, les abîmes en provoquant chez le spectateur des débordements de l’âme. Ce terme est surtout utilisé pendant la période de l’art romantique.
Art moderne
Période artistique débutant avec l’apparition des impressionnistes (1870) et se terminant dans les années 1950 qui se caractérise par une rupture avec les règles classiques d’un art passé et de nombreuses innovations artistiques.
Repères utiles
Objectif / Subjectif / Intersubjectif
Est objectif ce qui se rapporte à l’objet de la connaissance. En ce sens, un jugement est objectif quand il ne dépend pas, relativement à son contenu de la personne qui le prononce ; il tend donc à être universel. Les vérités mathématiques sont un modèle de vérités objectives : quelle que soit la personne qui l’affirme, deux et deux font toujours quatre.
Est subjectif un jugement qui se rapporte au sujet de la connaissance. En ce sens un jugement est subjectif quand il relève de la personnalité de celui qui le prononce ; il tend donc à être relatif. "Je trouve que ce plat est bon." est un jugement subjectif.
Est intersubjectif tout ce qui concerne les relations de personne à personne. Le fait qu’il y ait intersubjectivité signifie que l’être humain n’est jamais seul au monde, mais toujours déjà en relation avec les autres. Confronter sa pensée à celle des autres, dans la recherche scientifique et philosophique, mais aussi dans le domaine moral ou esthétique montre le rôle de l’intersubjectivité dans la visée de l’universel.
Dans le domaine de l’esthétique, par exemple, la question peut se poser de savoir si le jugement de goût est objectif, ou bien si l’appréciation d’une œuvre d’art relève de la subjectivité, c’est-à-dire des préférences individuelles. Mais à partir du moment où le jugement de goût fait l’objet d’une discussion qui met en relation plusieurs personnes (au moins deux, qui se demandent par exemple si telle œuvre d’art est belle), et que la parole est mobilisée par chacun pour défendre sa position, on entre dans le domaine de l’intersubjectivité.
Essentiel / Accidentel
Est essentiel ce qui correspond à l’essence de la chose, de l’être, ce qui la définit dans sa nature la plus profonde. Est accidentel ce qui arrive accidentellement, et donc non nécessairement, à l’être. Le fait que l’on puisse faire usage de notre pensée et de notre raison est un critère essentiel dans notre humanité, alors que être blond, brun ou roux est un accident, cela ne détermine pas notre essence.
Nous pouvons nous questionner sur la dimension essentielle ou non de l’art. L’art a-t-il un rapport essentiel au réel, au sens où il permet de montrer de manière plus évidente une réalité déjà existante qui se serait révélée dans un futur plus ou moins proche ? Ou ce rapport est-il accidentel, au sens où l’art imite la réalité mais sans jamais réussir à lui être fidèle ni à en montrer l’essence ? Dans ce second sens l’art serait accidentel au sens où puisqu’elle ne traduit rien d’important, l’art aurait pu ne pas être.
Auteurs
PLATON
Les bons artistes sont les artistes qui reproduisent les chants ou les statues anciennes en respectant une certaine forme traditionnelle et contraignante sans chercher à plaire, mais par pure beauté de la production artistique. Ainsi tout artiste qui décide de changer de modèle et de prendre, non pas les muses et les dieux, mais le réel comme modèle afin de plaire au public, est un mauvais artiste qui doit être chassé de la cité.
Selon Platon, la peinture d’un paysage est la copie d’une copie. En effet le monde sensible est une réalité amoindrie puisque les choses y sont changeantes et instables, étant elles-mêmes des copies des Idées que l’on trouve dans le monde intelligible.
Exemple du lit
Ainsi le lit de l’artiste, en plus d’être au degré le plus éloigné du réel encourage les hommes à prendre du plaisir aux apparences et à s’éloigner de la vérité.
Emmanuel KANT
Selon Kant, le jugement de goût est subjectif et universalisable, c’est d’ailleurs la condition pour que puisse exister des "chefs-d’œuvre" reconnus par tous. Kant distingue ainsi le beau de l’agréable et de l’utile. L’agréable est un sentiment subjectif qui peut ne pas être partagé par autrui. L’utile, au contraire est purement objectif puisqu’un objet utile est reconnu comme tel par tous. Le beau est précisément à la frontière du subjectif et de l’universel.
En effet, le beau émane d’abord d’un objet qui nous a personnellement procuré un sentiment agréable suite à sa contemplation. Mais le beau réside aussi dans le ressenti qu’une autre conscience partage ce plaisir. Ainsi nos deux facultés de connaissances sont mises à contribution, l’imagination (qui agit dans notre subjectivité et notre goût pour l’œuvre) mais aussi l’entendement (qui agit du coté de l’universalité puisque nous prenons conscience du fait qu'autrui pourrait juger esthétique le même objet que soi-même).
"Ce qui est beau plait universellement sans concept" : ainsi le beau n’est pas essentiellement subjectif mais il résulte d’une intersubjectivité.
Henri BERGSON
Selon Bergson, si les artistes peuvent nous apprendre quelque chose sur le réel, c’est parce qu’ils n’ont pas un rapport utilitaire au réel. En effet, l’artiste « regarde les choses pour elles-mêmes » et non « pour lui ». Ce désintérêt permet un « détachement » et une « distraction » nécessaire pour entretenir un rapport plus riche et plus complet au réel que la plupart des individus. En ce sens, l’artiste est un "révélateur" permettant la découverte de certains aspects de la réalité ou de soi-même.
Paul KLEE
"L’art ne reproduit par le visible, il rend visible l’invisible."
Selon cet artiste suisse, la finalité de l’art n’est pas d’imiter le plus fidèlement possible ce que nous pouvons déjà voir, mais elle a pour but de nous révéler des aspects inédits inaccessible à nos yeux non éduqués qui ne saisissent pas toute la sensibilité du réel.
Exemples
Marcel DUCHAMP, Fontaine (1917)
Edouard MANET, Olympia (1863)