Le langage
Série de question
Le langage n’est-il qu’un moyen de communication parmi d’autres ?
Le langage est-il propre à l’homme ?
Puisque c'est par les mots que l’homme peut dire “je”, est-ce par le langage que l’homme devient un sujet ?
Etant donné que les animaux communiquent entre eux, existe-t-il une forme de langage animal ? Ou leur communication reste-t-elle limitée ? De telle sorte que le langage animal ne peut former une infinité de discours à la manière dont les hommes le font ?
Si nos pensées ne se forment qu’à partir de mots et de phrases, quel rapport y a-t-il entre le langage et la pensée ?
La langue est-elle un cadre qui détermine notre pensée ? Pouvons-nous penser hors des mots ? Ou au contraire, est-ce la pensée qui détermine les mots ? Auquel cas les mots ne seraient qu’une manière d’extérioriser notre pensée.
Le langage est-il une convention entre les hommes ou est-il inné ? Est-il artificiel ou naturel ?
Concepts
Langage
Faculté humaine de communication et d’expression qui passe par l’utilisation d’une langue et qui a pour objectif la communication de nos pensées avec autrui par le biais de la parole.
Communication
Échange de signes ou de messages volontairement ou involontairement consciemment ou inconsciemment entre deux êtres vivants ou deux groupes d'individus.
Code
Système de signes naturels ou conventionnels. Ainsi une langue, l’écriture ou des figures d’animaux dessinés à la peinture à la manière de hiéroglyphes sont des codes, ils permettent la communication.
Langue
Ensemble de signes, naturels ou conventionnels, utilisé par une communauté particulière pour communiquer. Le français ou l’anglais sont des langues, au même titre que le langage des signe.
Parole
Appropriation par un individu de la langue se traduisant par l’expression écrite ou orale d’une pensée par le biais de la langue.
Signe
Unité d’expression de langage. Il est composé de deux faces :
Indice
Fait immédiatement perceptible qui nous fait connaître quelque chose à propos d’un autre fait qui, lui, n’est pas immédiatement perceptible. Par exemple une trace de botte dans la neige nous fait comprendre qu’un homme est passé par là avant nous, sans que le fait que l’homme qui est passé avant nous ne soit directement perceptible.
Signal
Tout signe qui déclenche une action. Le hurlement d’un loup est par exemple un signal et non pas un signe puisqu’il a pour objectif de prévenir un autre loup et de créer une réaction chez l’autre loup sans transmettre une pensée complexe.
Symbole / Icône
Tout signe qui représente un autre objet dans une relation de ressemblance, d’imitation, d’analogie.
Linguistique
Science étudiant le fonctionnement des langues humaines.
Sémiotique
Science étudiant le fonctionnement des signes en général, qu’il soient naturels ou conventionnels, conscients ou inconscients.
Sens
Signification d’une expression qui renvoie à la formulation de la phrase, de la réception et de l’interprétation de cette phrase. Ainsi si la phrase est : “Quelle belle paire de chaussure !”, le sens est équivoque puisqu’il peut être : "Je veux une paire de chaussure similaire.", "Je veux de l’attention." ou encore sur un ton ironique "Quelle paire de chaussure hideuse !".
Signification
Sens d’une expression entendue au sens littéral. La signification relève de la langue.
Discours
Développement oratoire composé de signes multiples et permettant à l’homme d’exposer ses pensées. Le discours n’est pas un terme applicable à l'animal, il est propre à l’homme.
Repères utiles
Intuitif / Discursif
Est intuitif ce qui se saisit directement, sans raisonnement ni effort. Du latin intueri qui signifie "regarder attentivement". Est discursif ce qui se saisit par le biais d’un raisonnement, étape par étape. Du latin discurus, qui signifie "action de parcourir en tous sens".
Ces deux termes désignent deux modes d’accès aux choses. Certaines choses sont saisies directement, on peut penser que c’est le cas du langage chez les humains, puisque les enfants apprennent facilement et unanimement à parler, ou le fait de voler chez les oiseaux. À l’inverse, un raisonnement mathématique nécessite une démarche discursive puisque le résultat est plus complexe et ne peut être atteint sans procéder étape par étape.
Médiat / Immédiat
Est médiat ce qui n’est saisi qu’indirectement, à l’aide d’un certain intermédiaire. Est immédiat ce qui est saisi directement, sans intermédiaire.
Pour Descartes, la pensée désigne un rapport de soi à soi immédiat : nous n’avons pas besoin de recourir à quelque chose d’extérieur. La saisie immédiate est une propriété essentielle de l’intuition, là où la déduction renvoie au thème de la médiation.
Dans la linguistique il est intéressant de se demander si les signes sont des entités établissant une distance avec nos pensées, en devenant des médias, ou si ils sont, au contraire, la source de nos pensées, auquel cas le rapport à nos pensées est immédiat.
Universel / Général / Particulier / Singulier
Est universel ce qui vaut en tout temps et en tout lieu. C’est en ce sens que les vérités scientifiques sont universelles : partout et toujours, la loi de la chute des corps sera observée. Est général ce qui vaut pour la majorité des cas, mais qui peut souffrir d’exceptions. Est particulier ce qui appartient seulement à une classe d’êtres. "Certains hommes sont des grands artistes" est une vérité particulière. Est singulier ce qui ne vaut que pour un individu. "Mozart est un compositeur de génie" est une proposition singulière.
Suivant ces distinctions conceptuelles, le langage est-il réellement universel ? En réalité le langage est particulier aux hommes et le distingue dans son humanité des autres animaux.
En acte / En puissance
Il s’agit d’une distinction, remontant à Aristote, entre deux manières d’envisager des êtres et des processus. Est en acte ce qui est achevé, ce qui n’est pas (ou plus) en devenir et dispose pleinement de toutes ses propriétés. Au contraire, est en puissance, soit ce qui est en cours d’accomplissement, ce qui est en train de s’actualiser (potentialité dynamique), soit ce qui pourrait devenir autre chose (pure potentialité).
Par exemple, le nouveau-né est en puissance doué de langage : sans le posséder en acte, il en a la potentialité, disposition dynamique qui s’actualise de plus en plus. Le langage semble ainsi être en puissance dans tous les êtres humains, autrement dit il est inné et non acquis.
Auteur(s)
Discours de la méthode, 1637
Lettre au marquis de Newcastle, 23 novembre 1646
Selon Descartes, même si l’homme était privé de parole il pourrait communiquer ses pensées, et c’est là sa plus grande différence avec les animaux. Le langage des signes, par exemple, montre que même sans l’usage de la parole, les hommes arrivent à penser et à communiquer leurs pensées.
Ferdinand de SAUSSURE
Cours de linguistique générale, 1906
Ce linguiste suisse distingue trois manières complémentaires de penser un signe qu'il faut concevoir comme les différentes facettes d’un même signe. D'abord, le signifiant qui est le support physique et oral du signe (son son et la manière de l’écrire). Ensuite le signifié, à savoir le sens auquel renvoi le signe, sa signification, son idée. Enfin le référent : l’objet réel auquel renvoi le signifiant et le signifié.
Prenons l’exemple du mot arbre : son signifiant est la manière dont il s’écrit et la manière dont il se prononce, son signifié est l’idée d’arbre en tant qu’un arbre est un végétal avec des feuilles qui est parcouru par de la sève, enfin le référent est la référence dans le réel auquel renvoie ce mot, autrement dit un arbre réel avec des branches et des feuilles.
Les travaux de Saussure sont importants en linguistique puisqu’ils permettent de montrer que les signes et ce à quoi ils renvoient sont des constructions de l’homme pour l’homme. Ainsi selon lui les mots sont des signes arbitraires et inventés, c’est-à-dire que le signifiant, le mot en lui-même, n’a pas de lien direct avec le sens qu’il a, c’est-à-dire avec son signifié.
Henri BERGSON
Selon Bergson, les mots sont des étiquettes que l’on met sur les choses du réel, ces étiquettes ont un but purement utilitaire, c’est-à-dire qu’elles doivent nous aider à comprendre le réel. "Nous ne voyons pas les choses mêmes, nous nous bornons le plus souvent à lire des étiquettes collées sur elles." écrit-il. Or nous ne voyons pas le réel directement mais il y a un média entre nous et le réel. Il critique ainsi cette absence d’immédiateté puisqu’elle ne nous permet pas de saisir les choses dans leur diversité.
Bergson est réaliste, selon lui il existe un mode réel en dehors de nos mots et les mots nous bornent à comprendre le réel d’une certaine manière en le simplifiant.
Georg W. F. HEGEL
Encyclopédie des sciences philosophiques, 1817
À la différence de Bergson, Hegel ne pense pas que les mots sont de simples moyens d’extérioriser nos pensée en étant infidèle à leur complexité. Il pense au contraire que le langage et les mots permettent de donner une véritable réalité à nos pensées en leur offrant une forme déterminée : "C’est dans le mot que nous pensons."