L’État
Questions découlant de la notion
Peut-on sérieusement penser fonder une société sans État ? L’absence d’entité politiquement forte ne limite-t-elle pas grandement le progrès et la gestion d’un pays ?
Quelle est la forme la plus parfaite de gouvernement ?
L’État est-il absolument nécessaire ? Et, si il est nécessaire, quelles sont les conditions de son efficacité en matière de droit et de justice ?
L’État est-il une manière de gouverner contraignant les classes populaires et favorisant les classes dominantes ou est-ce au contraire un appareil politique profondément juste favorisant l’égalité et l’équité ?
Concepts
État
Du latin stare, "être debout".
Ensemble des structures - législative, exécutive, judiciaire - du pouvoir politique chargées d’organiser une société en incarnant la souveraineté.
Initialement l'État est détenteur de tous les pouvoirs. Au XVIIème siècle, les philosophes et penseurs John Locke et Montesquieu élaborent la théorie de la séparation des pouvoirs afin de restreindre l’arbitraire du pouvoir. Ils divisent ainsi les pouvoirs de l’Etat en trois branches, chacune dirigée par des individus différents :
Loi
Une loi est une règle verbalisée et juridiquement reconnue comme telle.
Droit
Ensemble des règles qui dirigent la vie en société.
Droit objectif
Ensemble des lois qui régissent les rapports des hommes entre eux. Le Code pénal en France est un texte juridique contenant les lois fixant les peines, il relève du droit objectif.
Droit subjectif
Faculté appartenant à l’individu et lui permettant d’exiger ou de faire certaines choses. Le droit à la parole, en tant qu’il est revendiqué par un individu affirmant "j’ai le droit à la parole", relève du droit subjectif, l'individu s'es approprié la loi générale.
Droit positif
Le système des lois tel qu’il est effectivement et tel qu’il a été construit par la société.
Droit naturel
Le système des lois tel qu’il est à l’état de nature. Il est considéré inné et inhérent à chaque être vivant. La liberté, le droit de propriété ou l’égalité sont des composantes du droit naturel. Le droit naturel n'est pas démontrable, puisqu'il n'est pas à l'origine rédigé ou organisé, il est vécu.
Justice
Valeur morale fondée sur le respect de la personne et incarnant les principes d’égalité et d’équité.
Régime
Un régime est le mode d’organisation des pouvoirs publics. Il est différent de l’État. Si l’État désigne l’appareil politique permettant l’organisation de la société, le régime est la manière de l’organiser. La tyrannie par exemple est le mode d’organisation dans lequel un seul homme a tous les pouvoirs et règne sans lois sur son peuple.
Gouvernement
Institution politique qui exerce le pouvoir politique du pays. Il faut bien distinguer État et gouvernement. Le chef d’État est le chef du pays, il est le chef de l’ensemble des institutions et organisations qui dirigent la société. Le chef du gouvernement est l’individu qui exerce plus directement son pouvoir sur la société (c'est le 1er ministre en France).
Anarchisme
Conception politique qui tend à supprimer l’État et à éliminer toute forme étatique ou disposant un droit de contrainte.
État de nature
Ici il est question de l’état, au sens d’une disposition, et non de l’État au sens de l’organisme chargé d’organiser la société.
L’état de nature est l’état le plus primaire dans lequel les hommes se trouvent. Ce terme renvoie systématiquement à une fiction reposant sur des hypothèses, un tel état n’a jamais existé mais les philosophes le supposent pour expliquer la mise en place de l’état de droit impliquant l’existence de l’État.
Démocratie
Forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple. Selon le 16ème président des Etats-Unis Abraham Lincoln, la démocratie est "le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple".
Repères utiles
Idéal / Réel
Ce qui est idéal renvoie à ce qui est inatteignable et imaginaire mais qui peut tout de même être atteint. Du latin idea, le mot « idée » renvoi, depuis Platon, à un objet de la pensée relevant de domaine de l’esprit et non du corps, donc de ce qui est immatériel. Ce qui est idéal est donc ce qui relève du monde des idées.
- Ce qui est réel renvoi à ce qui est matériel et existe en acte dans le monde. Du latin res, « chose », le réel désigne ce qui nous entoure, qui a un corps et une essence.
L’état de droit est l’état dans lequel les interactions sont organisées par des lois et des règles, il représente l’état moderne de la société en tant qu’elle est mise en ordre par l’Etat.
Légal / Légitime
Les deux mots ont une étymologie commune, lex qui signifie "loi", toute la différence tient dans le type de loi à laquelle ils se référent. Est légal ce qui est conforme à la loi civile, issue du droit positif. Est légitime ce qui est conforme à la loi morale, c’est-à-dire conforme à une loi idéale issue de la conscience individuelle ou à ce qui est juste dans l’absolu.
Il convient de bien distinguer ces deux termes, leur distinction tient souvent dans la distinction public/privé. En effet la sphère publique est régie par les lois, au contraire, la sphère privée relève plutôt de la loi morale et du comportement individuel. Dès lors des pratiques telles que l’avortement peuvent être illégales dans certains pays alors qu’elles sont tout à fait légitimes et moralement acceptables. Au contraire la peine de mort est illégitime pour la plupart des individus mais elle reste légale dans certains pays.
Public / Privé
Du latin privatus, qui signifie "particulier, individuel", ce qui est privé renvoie à la chose qui est propre au sujet et qui le concerne exclusivement. Du latin publicus, "qui intéresse le public" descendant de populus, signifiant "le peuple", ce qui est public renvoie à quelque chose qui appartient au peuple. Est public un bien qui est accessible à tous.
À l’origine cette distinction est d’ordre juridique et désigne deux espaces opposés mais elle trouve également un sens en philosophie. Pour Sartre, par exemple, nous sommes ce que nous faisons et ce que nous montrons aux autres. Un homme ne se définit pas par ses actes en privé, ce n’est pas ce qu’il fait seul sans regard à affronter qui fait ce qu’il est, mais à l’inverse, il se définit par ses actes en public quand il doit se confronter au regard de l’autre.
Obligation / Contrainte
Les deux termes désignent un type de rapport qui limite notre liberté. L’obligation renvoie à une limite interne et immanente que le sujet se fixe lui-même, elle vise à l’obéissance. L’obligation est le résultat d’un choix de notre raison et donc de notre liberté. La contrainte renvoie à une limite extérieure et transcendente au sujet, il ne choisit pas la limite qui lui est imposée. La contrainte vise la soumission par l’usage de la force. La contrainte nie la liberté du sujet.
Dans la mesure où l’État impose une limite extérieure et freine la liberté des individus, il contraint l’individu. Seulement, en société, notre liberté finit là où celle d’autrui commence, ainsi il serait raisonnable de se fixer l’obligation individuelle de ne pas diminuer la liberté d’autrui. En ce sens, l’État ne nous contraint que de manière superficielle puisqu’en réalité il comprend la nécessité individuelle de chacun de profiter de sa propre liberté mais observe aussi l’incapacité des individus à se restreindre seul pour ne pas freiner la liberté d’autrui. En un sens l’État nous contraint à suivre un objectif qui est bon pour nous, ainsi il nous oblige plus qu’il ne nous contraint.
Auteur(s)
MONTESQUIEU
De l’esprit des lois, 1748
"Il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir."
Par ces mots, ce philosophe et penseur français montre l’importance de la tripartition du pouvoir. En divisant le pouvoir de l’État en trois types de pouvoirs : législatif, exécutif et judicaire, permettant chacun d’avoir un contrôle sur les deux autres, il est possible d’éviter les dérives égoïstes et tyranniques.
Max WEBER
Le Savant et le Politique, 1919
"L’État consiste en un rapport de domination de l’homme sur l’homme fondé sur le moyen de la violence légitime."
Selon Max Weber, l’un des pères de la sociologie allemande, l’État est la seule entité disposant du "monopole de la violence légitime". Autrement dit, l’État est le seul organisme pouvant recourir à la violence pour régler un litige. Cela suppose d’une part que chaque individu accepte l’exclusivité du recours à la violence par l’État, et renonce par conséquent à l’exercer par lui-même. Cependant, le fait même que l’État soit le seul acteur pouvant utiliser la violence a un effet dissuasif avant même le recours à ce pouvoir. En effet, c’est la menace d’être arrêté par la police qui nous empêche de commettre un vol. Ainsi, l’homme se contrôle lui-même en créant une entité ayant le monopole de la violence légitime et en le décourageant de commetre un crime ou un délit.
Courant de pensée se développant essentiellement à partir du XVIIème siècle qui défend l’idée selon laquelle le droit naturel découle de la nature humaine et se découvre par introspection.
Les auteurs de l’École du droit naturel ont des conceptions différentes de l’état de nature ainsi que de la sortie de cet état vers un état de droit. Les trois principaux auteurs de cette école sont Hobbes, Locke, et Rousseau.
L'état de nature est un état de peur et de crainte. Dans cet état de nature, les hommes sont libres et égaux mais sont constamment en guerre parce qu’ils ont peur d’autrui. Le passage d’un état de nature à un état de droit, autrement dit à une société organisée et où l’État a une place prédominante est due à l’instrumentalisation de la peur des hommes.
l’état de nature est un état de faim. Dans cet état de nature, les hommes sont libres, égaux, en paix et ce qui guide leur activité est la propriété, qui découle selon Locke du travail. Le passage à un état de droit se fait par le souci de stabiliser la propriété : les hommes se mettent alors d’accord sur des conventions et des règles qui déterminent la propriété.
L’état de nature est un état de liberté. Dans cet état de nature, les hommes sont en paix et ont des denrées en abondance, mais sont seuls, ils n’interagissent pas. Le passage à un état de droit se fait de manière involontaire. Selon Rousseau c’est un bouleversement inexpliqué qui sort les hommes de leur état de paix et d’abondance dans lequel ils étaient satisfaits. La conception rousseauiste de l'état de nature s'oppose à celle de Hobbes et Locke chez qui l'état de nature n'est pas désirable.
Thomas HOBBES
Le Léviathan, 1651
Ce philosophe anglais de la fin du XVIème siècle fait partie de l’École du droit naturel. Il énonce dans cet ouvrage sa théorie du droit naturel et du passage de l’état de nature à un état de droit.
Face à la situation de crainte permanente dans l’état de nature, il est désirable de créer artificiellement un État autoritaire pouvant offrir la paix et la sécurité aux hommes. La seule condition est l’abandon d’une part de leur liberté pour la confier au souverain.
L’État est, chez Hobbes, comme un Léviathan, autrement dit, un monstre marin doué d’une force surhumaine et pouvant effrayer les hommes pour les pousser à faire ce qu’il souhaite. Cette figure effrayante mais protectrice permet aux hommes de ne plus craindre chaque personne et de ne plus vivre dans la peur permanente. Ainsi le Léviathan est ce monstre, crée et composé par les hommes eux-mêmes, afin de les contraindre à respecter la loi.