Quelles politiques économiques dans le cadre européen ?
Sujet : Quelles sont les difficultés que connait la zone euro pour faire face aux chocs asymétriques ?
Figure 1 - Données économiques des pays de la zone euro - Source : Insee
Figure 2 - Taux de chômage au sein de l'Union européenne - source : https://www.touteleurope.eu/.
Figure 3 - Taux de croissance des pays de la zone euro - source : Eurostat
Amorce & mise en évidence du lien avec le sujet :
A la suite de la crise sanitaire et économique, le retour de l’inflation est important dans toute la zone euro mais plus ou moins marqué selon les États. Cette situation place la Banque Centrale Européenne face à un dilemme : adopter une politique plus restrictive pour contrôler l’inflation au risque de freiner la reprise dans les pays où elle est faible ou poursuivre une politique accommodante au risque de voir l’inflation devenir incontrôlable là où elle est déjà élevée. Cette situation illustre les difficultés que connaît la zone euro pour faire face à un choc économique asymétrique, en l’occurrence la hausse générale du niveau des prix.
Définitions des termes et reformulation du sujet :
La zone euro désigne un territoire qui regroupe 19 États de l’Union européenne au sein d’une union économique et monétaire, qui ont pour caractéristique de partager la même monnaie. Comme d’autres économies, elle peut connaître des chocs asymétriques, c’est-à-dire des qui ne touchent pas de la même manière les différents États qui la composent, au contraire d’un choc symétrique qui toucherait uniformément toute la zone. Toutefois, contrairement à d’autres zones économiques intégrées comme les États-Unis, la zone euro semble connaître des difficultés pour y faire face, comme a pu l’illustrer la crise des dettes souveraines entre 2010 et 2012, qui a touché très diversement les États membres. Ces difficultés réapparaissent aujourd’hui alors que la crise économique liée à la covid-19 a touché différemment les économies de la zone.
Problématique :
En quoi la zone euro connaît-elle des difficultés pour faire face aux chocs économiques asymétriques ?
Annonce du plan :
D’une part, la zone euro connait des divergences économiques importantes qui ne permettent pas de limiter mécaniquement l’impact d’un choc asymétrique (I). D’autre part, les difficultés inhérentes aux politiques conjoncturelles en zone euro limitent sa capacité à faire face à un tel choc (II).
1. La zone euro connaît des divergences économiques importantes qui ne permettent pas de limiter l’impact d’un choc économique asymétrique
(Affirmation) La zone euro comprend des situations économiques divergentes en son sein, ce qui favorise l’émergence de chocs asymétriques puissants.
(Explication) La zone euro est en effet marquée par des situations économiques très divergentes selon les États qui la composent, qu’il s’agisse du dynamisme de l’économie avec les taux de croissance, de la prévalence du chômage de masse ou encore de l’endettement public et de l’évolution des prix. Contrairement à ce que ses créateurs avaient escomptés, les différences économiques qui préexistaient à sa création ont perduré jusqu’à aujourd’hui. Or, ces fractures économiques peuvent s’avérer problématiques en ce qu’elles favorisent l’émergence de chocs asymétriques, l’impact d’une diminution du commerce international ou d’une crise financière n’ayant pas les mêmes répercussions sur des économies aux fondamentaux si différents et menaçant la stabilité économique des pays les plus faibles.
(Illustration) Ainsi, comme le montrent les taux d’inflation mesurés par l’Insee (document 1), certains pays comme l’Irlande ou la Pologne ont des économies à forte croissance (respectivement 6,9% et 5,1% en 2019), faible chômage (5,7 et 3,7% en 2019) et faible endettement (60,6% et 59% en 2021). A l’inverse, d’autres économies connaissent des difficultés structurelles et tendent à être davantage touchées par les chocs économiques asymétriques. Il est en ainsi pour la Grèce et l’Italie par exemple. Leurs taux de croissance mesurés par l’institut européen Eurostat sont limités - 1,9% et 0,8% respectivement en 2019 avant crise - (document 3), leurs taux de chômage sont élevés (18,5% et 10,6% en 2019) selon le site « Toute l’Europe » (document 2) et leur endettement est très important (209% et 160% du PIB respectivement en 2021).
(Affirmation) La zone euro ne respecte pas les critères d’une zone monétaire optimale de sorte qu’elle peine à répondre de façon mécanique aux chocs asymétriques auxquels elle fait face. (Explication) Afin qu’une zone monétaire puisse réagir au mieux à un choc économique, c’est-à-dire qu’elle soit « optimale » au sens de Robert Mundell, elle doit posséder des caractéristiques spécifiques qui constituent des mécanismes d’ajustement en cas de crise. Ces derniers semblent malheureusement faire défaut à la zone euro. Premièrement, cette dernière ne connaît pas une parfaite mobilité des facteurs de production, le travail comme le capital, ce qui permettrait de les transférer dans des zones moins touchées par le choc économique afin de les allouer de la façon la plus efficace et de limiter l’impact du choc. De nombreuses barrières, notamment linguistiques et règlementaires, perdurent en la matière et font que la mobilité des facteurs reste limitée. Deuxièmement, la flexibilité des salaires réels, c’est-à-dire la possibilité d’augmenter ou diminuer les salaires afin de relancer ou contraindre l’activité économique selon la conjoncture n’est pas effective car des rigidités à la baisse demeurent, les conventions collectives par exemple. De ce fait, les économies les plus touchées peinent donc à retrouver leur compétitivité en cas de choc asymétrique. Enfin, troisièmement, il n’existe pas de mécanisme de budget fédéral européen qui pallierait les difficultés économiques d’un ou plusieurs États : le budget européen restant particulièrement faible au regard du PIB de la zone (de l’ordre de 1% du PIB contre 22% pour l’État fédéral américain). Pour toutes ces raisons, la zone euro n’est pas une zone monétaire optimale et demeure plus fragile face aux chocs asymétriques.
(Illustration) L’endettement très différencié des États évoqué plus haut de même que les taux d’inflation particulièrement divers au sein de la zone euro (5,3% en décembre 2021 en Allemagne contre seulement 2,8% en France) illustrent que des divergences importantes demeurent entre les économies européennes. L’impact très variable de la crise sanitaire sur l’activité économique décrit par Eurostat (document 3 : - 5% en Allemagne contre - 10,8% en Espagne) témoigne du fait qu’elles réagissent également très différemment aux chocs symétriques, ce qui complexifie la réponse économique à apporter.
La zone euro se caractérise par des divergences économiques et un manque de mécanismes d’ajustement qui génèrent des difficultés pour faire face à des chocs asymétriques. A cette première limite s’ajoute la complexité à coordonner les politiques conjoncturelles au sein de la zone.
2. Les politiques budgétaires comme monétaires comportent des limites inhérentes à la zone euro qui génèrent des difficultés pour faire face à un choc asymétrique
(Affirmation) La politique budgétaire en zone euro souffre de difficultés de coordination, de solidarité et de l’encadrement inadapté des critères de convergence du Traité de Maastricht.
(Explication) En premier lieu, la zone euro n’est pas parvenue à coordonner les politiques budgétaires de façon satisfaisante. Si la zone euro a, avec la création de la monnaie unique en 1999, adopté une politique monétaire unique sous l’égide de la BCE, chaque pays membre a conservé sa politique budgétaire propre au niveau national. Il en découle des difficultés de coordination. Des mécanismes institutionnels tels que le semestre européen ont été mis en place pour y répondre, mais n’ont pas permis de résoudre de manière satisfaisante le problème. En effet, en cas de choc économique, chaque État de la zone euro a individuellement intérêt à ce que les autres mènent des politiques de relance pour bénéficier des importations des consommateurs étrangers tout en minimisant l’impact d’une politique budgétaire expansive sur leurs propres finances publiques. C’est le dilemme du passager clandestin. En second lieu, les règles budgétaires européennes strictes instituées par les critères de convergence du Traité de Maastricht en matière de dette et de déficit publics privent également les États européens de précieux leviers d’action en cas de crise. En cas de choc asymétrique, les États membres peuvent ainsi se retrouver contraints à mener des politiques budgétaires restrictives pour respecter ces critères et accentuer les effets de la crise sur la croissance. Enfin, la zone euro souffre d’une insuffisante solidarité entre les politiques budgétaires, comme en témoigne l’inexistence de mécanismes de redistribution au niveau européen. La trop faible coordination et l’insuffisante mise en commun des ressources constituent deux difficultés majeures de la zone euro pour faire face aux chocs économiques, notamment asymétriques.
(Illustration) La crise des dettes souveraines entre 2010 et 2012 a à nouveau illustré les limites de la coordination des politiques budgétaires de relance et la trop faible solidarité.
(Affirmation) Les difficultés de la zone euro pour faire face aux chocs asymétriques tiennent également aux difficultés de la politique monétaire.
(Explication) En principe, la politique monétaire doit être expansive en cas de crise économique et restrictive en cas de surchauffe (caractérisée notamment par de l’inflation forte), afin de trouver un équilibre entre le contrôle l’inflation et le soutien à la croissance. La situation est plus complexe en zone euro où il existe des différences de taux d’inflation importantes entre les différents pays face à une politique monétaire unique mise en place par la BCE. Là où les banques centrales nationales pouvaient auparavant cibler leur politique selon les économies dont elles avaient la charge, la BCE doit trouver une position médiane qui tienne compte des situations très variées en matière d’inflation et d’endettement. Le risque est alors que la politique mise en place par la BCE ne soit pas adaptée aux économies européennes, soit trop restrictive pour les pays connaissant une faible inflation - comme la France - soit trop accommodante et ne luttant pas assez contre la hausse des prix - comme en Allemagne.
(Illustration) Les difficultés de la politique monétaire pour gérer un choc asymétrique sont particulièrement criantes aujourd’hui, comme évoqué en introduction. Elles ont également été visibles en 2011, lorsque la BCE a pris la décision de relever ses taux, ayant pour conséquence d’amputer la reprise et de faire replonger la zone euro en récession, particulièrement les pays ayant été les plus touchés par la crise de 2008 comme la Grèce. Les taux d’inflation très variables mesurés par l’Insee actuellement (document 1) avec plus de 9% en Lituanie et à peine plus de 3% en France devraient soulever les mêmes difficultés.
Les difficultés de la zone euro pour faire face aux chocs économiques asymétriques tiennent avant tout aux différences majeures entre les différents pays membres. A ces divergences s’ajoute l’absence de mécanismes permettant un ajustement mécanique à une crise dans un ou plusieurs États, la zone euro n’étant pas une zone monétaire optimale. Par ailleurs, la politique conjoncturelle a un impact limité en zone euro puisque la politique monétaire est unique, et que les politiques budgétaires sont nationales, non coordonnées mais contraintes par les critères de convergence du traité de Maastricht.
L’objectif est ainsi triple pour la zone euro. D’une part, elle doit poursuivre la convergence des économies afin de limiter autant que possible les divergences des fondamentaux économiques en son sein. D’autre part, elle doit mener des réformes afin de se rapprocher d’une zone monétaire optimale en favorisant les mécanismes d’ajustement au niveau des facteurs de production et des salaires. Enfin, elle devra mieux coordonner les politiques budgétaires nationales et créer une réelle politique budgétaire unifiée afin de mieux lutter contre les chocs asymétriques. A l’inverse, le risque est que les divergences s’accentuent au sein de la zone euro et menacent son unité, comme ce fut le cas lors de la crise grecque. A cet égard, le plan NextGenerationEU adopté par le Conseil européen en juillet 2020 constitue un premier pas en la matière.