Les matières
Fiche vérifiée

Explication de texte
Pascal, Pensées, Fragment n°136-139 et 32-35

NOTIONS : LA LIBERTÉ – LE BONHEUR

Divertissement

Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre [...] Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. [...] Les hommes s’imaginent que s’ils avaient obtenu la charge$^1$ qu'ils recherchent ils se reposeraient ensuite avec plaisir et ne sentent pas la nature insatiable$^2$ de la cupidité. Ils croient chercher sincèrement le repos, et ne cherchent en effet que l’agitation. Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au dehors, qui vient du ressentiment de leurs misères continuelles. Et ils ont un autre instinct secret qui reste de la grandeur de notre première nature, qui leur fait connaître que le bonheur n’est en effet que dans le repos et non pas dans le tumulte. Et de ces deux instincts contraires il se forme en eux un projet confus qui se cache à leur vue dans le fond de leur âme, qui les porte à tendre au repos par l’agitation et à se figurer toujours que la satisfaction qu’ils n’ont point leur arrivera si, en surmontant quelques difficultés qu’ils envisagent, ils peuvent s’ouvrir par là la porte au repos. Ainsi s’écoule toute la vie, on cherche le repos en combattant quelques obstacles. Et si on les a surmontés, le repos devient insupportable par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir et mendier le tumulte. Car ou l’on pense aux misères qu’on a ou à celles qui nous menacent. Et quand on se verrait même assez à l’abri de toutes parts, l’ennui, de son autorité privée, ne laisserait pas de sortir du fond du cœur, où il a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de son venin. Mais qu’on juge quel est ce bonheur qui consiste à être diverti de penser à soi.

Pascal, Pensées, Fragment n°136-139 et 32-35


$^1$ l'emploi
$^2$ Impossible à satisfaire

Introduction

Thème

Dans ce texte, extrait du recueil de fragment des Pensées, Pascal traite du bonheur et du malheur des hommes.

Problème

Pascal affronte le problème suivant : d’où vient le malheur des hommes ? Tout le monde recherche le bonheur et pourtant personne ne semble avoir trouvé de réponse solide à cette question universelle : pourquoi les hommes ne trouvent-ils pas le bonheur ?

Thèse

L’auteur affirme dans ce texte que le malheur des hommes vient de leur condition misérable. Le désir humain est structuré par une contradiction qui fait qu’il ne peut supporter ni le repos ni l’agitation : toutes les activités humaines peuvent ainsi être comprises comme des divertissements.

Enjeux

Cette thèse a des conséquences éthiques. En effet, en révélant la structure du désir, Pascal cherche à briser l’illusion du divertissement pour convaincre les hommes de chercher une véritable issue à leur condition misérable. Si sa thèse est vraie, alors il faut changer notre manière de chercher le bonheur et refuser le divertissement.

Structure

Pour démontrer sa thèse, Pascal commence par affirmer que le malheur des hommes vient de la misère de leur condition, contrairement à ce que croient les philosophes. Puis il étaye sa thèse en montrant la fonction de divertissement que jouent les activités humaines. Enfin, il analyse la nature contradictoire du désir humain et son incapacité structurelle à être heureux dans cette condition.

Première partie

Le malheur des hommes vient de leur condition misérable (« Quand je m’y suis mis […] lorsque nous y pensons de plus près »)

Analyse

Ce que dit l’auteur :

Pascal commence par constater que les hommes sont malheureux parce qu’ils ne savent pas demeurer en repos : pour éviter l’ennui, ceux-ci s’exposent sans cesse au danger et à la peine. Puis il donne la raison de cette agitation, qui vient de la finitude de notre condition : lorsque nous sommes en repos, rien ne nous détourne de penser à notre fragilité et à notre mort certaine. C’est pourquoi le repos est si insupportable.

Ce que fait l’auteur :

Pascal part d’un constat empirique (un fait), et il en donne la cause : les hommes ne supportent pas le repos. Mais il ne se contente pas de cette première réponse et approfondit son analyse pour proposer une justification de ce comportement humain : la raison de l’ennui est la misère de la condition humaine, qui rend l’inactivité insupportable.

Termes importants

  • Cause/raison : Une cause est ce qui produit un effet, ce par quoi quelque chose arrive. Elle permet d’expliquer un fait mais pas de le justifier. Une raison est ce qui justifie un fait, ce qui permet d’en reconnaître la légitimité car cela satisfait notre besoin de compréhension profonde en le fondant en raison.
  • Condition : situation inhérente à un mode d’existence déterminé. La condition humaine est l’ensemble des caractéristiques et des événements majeurs qui constituent l’existence humaine. Par exemple, la naissance, la mort, la sensibilité, la pensée, la maladie…. La condition humaine se distingue de la nature humaine parce qu’elle ne dit pas ce qu’est l’homme (par exemple bon ou mauvais, égoïste ou altruiste…) mais simplement ce qui structure son existence.

Exemple(s)

Contrairement à d’autres animaux, les hommes ne semblent pas satisfaits lorsqu’ils ont simplement de la nourriture et un abri : demeurer en repos dans une chambre, c’est une des définition de la prison. Être logé, nourri, blanchi ne suffit pas pour être heureux : seul avec ses pensées, l’homme souffre.

Commentaire

Références ou thèses adverses et alliées

Les philosophies antiques, notamment l’épicurisme et le stoïcisme, sont centrées sur la question du bonheur. Leurs méthodes pour l’atteindre varient, mais toutes considèrent que le bonheur consiste dans la paix ou le repos de l’âme, appelé ataraxie, qui correspond à l’absence de trouble ou de peine. Pascal s’oppose ici à ces philosophes puisqu’il affirme que notre condition mortelle est trop insupportable pour que nous puissions être heureux dans le repos.

Enjeux

L’enjeu est ici éthique : il s’agit de savoir si le bonheur est dans le repos ou l’agitation, et s’il faut écouter les conseils des philosophes qui affirment qu’il faut apprendre à trouver la paix, ou si le problème est ailleurs comme semble le suggérer Pascal.

Problèmes et limites

A ce stade du raisonnement, on pourrait opposer à Pascal un argument épicurien : le bonheur est accessible, simplement les hommes se trompent sur l’objet du désir et recherchent la gloire, l’argent ou l’amour alors qu’il suffit de satisfaire ses besoins pour atteindre la paix de l’âme et être heureux.

Transition

Comment cette partie répond au problème

Pascal comment ici par affirmer sa thèse : le malheur des hommes n’est pas conjoncturel, il ne vient pas d’une erreur sur l’objet du désir, mais bien structurel : les hommes ne peuvent pas être heureux car leur condition mortelle est essentiellement misérable.

Ce qu’il reste à démontrer

Mais il faut étayer cette thèse : qu’est-ce qui prouve qu’il ne suffit pas d’apprendre à demeurer en repos dans une chambre pour être heureux ? Il reste à montrer que les activités des hommes ne sont pas de simples erreurs.

Deuxième partie

Les hommes ont donc raison de se divertir (« De là vient […] nous en garantit »)

Analyse

Ce que dit l’auteur :

Pascal montre ici que l’agitation des hommes n’est pas une erreur, mais un divertissement. Si les hommes ne sont jamais satisfait, même après avoir atteint leur but apparent (argent, amour, succès), ce n’est pas parce qu’ils se trompent sur l’objet de leur désir, mais parce qu’ils savent au fond que le bonheur ne consiste pas dans la possession de ces biens mais dans le divertissement provoqué par l’activité elle-même. Ne rien faire, même si on a tout ce qu’on désire, c’est se retrouver seul avec ses pensées : et penser à sa condition, c’est penser à notre fragilité et à notre mort. Il faut donc se divertir pour ne pas être malheureux.

Ce que fait l’auteur :

Pascal utilise le paradigme de la chasse ou du jeu pour penser toutes les activités humaines : dans la chasse, le but compte moins que l’action elle-même, puisqu’on pourrait se procurer de la nourriture beaucoup plus facilement. Il met ainsi sur le même plan toutes nos actions, des divertissements au sens courant du terme (jeu, conversation…) aux activités les plus sérieuses comme le travail ou la guerre ; tout est réduit au divertissement, c’est-à-dire à une manière d’échapper à l’ennui.

Termes importants

  • Divertir : aujourd’hui, signifie amuser, distraire. Étymologiquement : détourner de (di vertere). Pascal en fait un concept qui va caractériser la structure même du désir, qui cherche à se détourner de la pensée de notre condition.
  • Béatitude : bonheur total, sérénité ou jouissance obtenue par la satisfaction de tous les désirs.
  • Philosophes : ici, renvoie à tout ceux qui croient qu’il suffit d’être raisonnable pour être heureux, et qui font la leçon au reste du monde au nom de cette prétendue rationalité. Pascal pense en particulier aux philosophes antiques, mais aussi aux moralistes de son époques. On peut également penser aux théories actuelles du développement personnel qui recommandent d’apprendre à se satisfaire de ce que l’on a pour être heureux.

Exemple(s)

Cela n’intéresse personne d’acheter un jeu vidéo déjà terminé, avec un personnage au maximum de ses capacités : pourtant on peut passer des heures à chercher à atteindre ce but. C’est donc que le but réel n’est pas de passer les niveaux, mais dans le plaisir procuré par l’activité elle-même. Selon Pascal, cet exemple est valable pour la plupart de nos activités, c’est pourquoi nous ne sommes jamais satisfaits.

Commentaire

Références ou thèses adverses et alliées

Pascal réfute ici directement les penseurs qui prétendent s’appuyer sur la raison pour critiquer le comportement des hommes, et en particulier les épicuriens et leur doctrine de l’ataraxie (cf première partie). Selon lui, ces doctrines ignorent la nature humaine, c’est pourquoi elles ne permettent pas de comprendre la véritable raison des activités humaines. Seul le concept de divertissement permet d’expliquer le comportement humain par la nécessité de fuir la pensée de notre condition, ce qui prouve bien que notre condition est malheureuse.

Enjeux

Les enjeux ici sont anthropologiques et éthiques. Il s’agit de savoir quelle est la nature humaine : si celle-ci est fondamentalement malheureuse, alors en effet nous ne pouvons pas être heureux dans le repos, malgré ce qu’en disent certains philosophes.

Problèmes et limites

La thèse de Pascal a quelque chose de très radical : notre nature même serait fondamentalement malheureuse, nous ne pourrions donc pas être en paix avec nous-même. Une thèse aussi désespérante demande a être approfondie pour être convaincante : comment un être vivant peut-il être par nature malheureux ? La nature peut-elle être si mal faite ?

Transition

Comment cette partie répond au problème

Pascal propose ici le concept de divertissement pour rendre compte du comportement humain : si la plupart des actions humaines leur procure plus de peine que de bien, ce n’est pas parce qu’ils sont idiots, mais parce qu’ils cherchent à se divertir de leur condition. Le malheur des hommes vient certes de leur agitation, mais cette agitation est nécessaire pour ne pas être plus malheureux encore dans le repos.

Ce qu’il reste à démontrer

Mais pourquoi ne pourrions-nous pas être heureux dans l’agitation ? Ne pourrions-nous pas accepter notre condition et passer notre existence à nous divertir ? Il reste à expliquer pourquoi le divertissement n’est pas une réponse suffisante à la recherche du bonheur.

Troisième partie

La contradiction du désir et l’impossibilité du bonheur (« Les hommes s’imaginent […] de penser à soi »)

Analyse

Ce que dit l’auteur :

Le malheur des hommes n’est pas le fruit d’une erreur, qui pourrait être simplement corrigée, mais d’une illusion qui vient de la nature humaine. Pascal explique ici que le désir humain est structuré par une contradiction entre deux « instincts secrets » qui pousse les hommes à chercher à la fois l’agitation et le repos et les empêche de trouver le bonheur dans l’un des deux. C’est pourquoi l’amusement seul ne suffit pas : les hommes ont besoin de prendre le jeu au sérieux pour y croire.

Ce que fait l’auteur :

Pascal cherche à approfondir les raisons du comportement humain en analysant la structure du désir : il montre que le divertissement se fonde dans la double nature humaine.

Termes importants

  • Illusions’imaginent ; se figurer ») : l’illusion est un jugement ou une perception qui ne correspond pas à la réalité et qui s’explique par les lois de la nature (exemple : une illusion des sens produite par un trompe-l’œil vient des lois de l’optique). Elle se distingue de l’erreur qui procède d’un simple manque de connaissance. Si le malheur des hommes venait simplement d’une erreur sur ce qui procure le bonheur, il suffirait de corriger leur ignorance pour les rendre heureux ; mais s’il vient d’une illusion comme le dit Pascal, alors celle-ci est ancrée dans notre nature.
  • Misère : la misère de l’homme renvoie à la finitude de sa condition, qui le rend vulnérable aux circonstances extérieures et l’expose ultimement à la mort, ce qui l’empêche d’être durablement heureux.
  • Grandeur : la grandeur de l’homme vient justement du fait qu’il ne se satisfait pas de sa condition, ce qui pour Pascal prouve qu’il a l’idée d’une autre condition ou « première nature » dans laquelle il était effectivement et solidement heureux parce qu’immortel.

Exemple(s)

Le début du film Trainspotting illustre le caractère insatiable et structurellement illusoire du désir humain : les modes de vie consuméristes actuels offrent au désir une succession d’objets (télévision, voiture, maison, mari, chien, enfant…) dont aucun ne procure définitivement le bonheur. C’est pourquoi certains jeunes se plongent dans la drogue, objet qui met fin à l’illusion du désir.

Commentaire

Références ou thèses adverses et alliées

Pascal s’appuie ici sur la doctrine chrétienne du péché originel, qui explique l’écart entre les aspirations humaines et son malheur actuel par l’histoire racontée dans la Bible (Genèse), selon laquelle l’homme a connu un état premier de béatitude paradisiaque avant d’en être chassé par sa faute et qu’il aspire depuis à le retrouver.

Enjeux

L’enjeu ici est anthropologique et éthique : de la définition de la nature humaine dépend la possibilité ou non de trouver le bonheur. Pascal semble dire ici que nous sommes voués au malheur puisque nous ne pouvons ni nous satisfaction de ce que nous avons, ni trouver une satisfaction complète et définitive. Nous avons l’idée d’une autre condition mais pas les moyens d’y parvenir : cette thèse est proprement désespérante.

Problèmes et limites

Le caractère désespérant de la thèse pascalienne peut être considéré comme un argument à lui opposer : celui-ci cherche en effet à convertir les hommes à la religion chrétienne en les convaincant qu’ils ne peuvent trouver le bonheur par eux-mêmes, contrairement à ce que leur promettent les philosophes antiques. On pourrait lui reprocher de chercher à désespérer les hommes pour les attirer dans la religion plutôt que de leur proposer des solutions plus accessibles.

Conclusion

Résumé des parties du texte

Contre les penseurs qui affirment que l’homme peut trouver le bonheur s’il apprend à se satisfaire de sa condition, Pascal montre que le malheur des hommes vient de la misère de leur condition, qui les empêche de demeurer en repos et les pousse à rechercher toute forme d’agitation qui pourra les divertir. Il explique ensuite que ce comportement trouve sa racine dans la structure contradictoire du désir humain qui fait que nous passons notre temps à rechercher des biens dont nous savons au fond qu’ils ne nous rendrons pas heureux, parce que nous ne pouvons nous satisfaire de notre condition.

Enjeux de la réponse au problème proposée par l’auteur

Les conséquences de cette thèse sont doubles : si on suit le raisonnement pascalien jusqu’au bout, alors la seule solution au problème du malheur humain est en effet la conversion à la religion et l’espérance d’un retour à la béatitude originelle après la mort. On peut cependant également refuser cette conclusion mais conserver l’idée pascalienne selon laquelle il y a quelque chose en l’homme, une sorte d’instinct secret, qui lui interdit de se résigner à sa condition actuelle et le pousse à la transformer par différents moyens : la religion, mais aussi l’art ou la politique.

Suite du contenu
Créez un compte pour lire la fiche complète.
Cette fiche est uniquement disponible pour les utilisateurs babaccool.
Si vous êtes nouveau sur Babaccool, créez un nouveau compte et on vous offre la première fiche.
S'inscrire avec un email
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous