Qu’est-ce qu’être moderne ?
Les titres des parties et les éléments de méthode apparents sont là pour te guider, tu n’as pas besoin de les préciser lors de l’oral.
Accroche : donner envie à l’auditeur d’écouter, l’accrocher avec une expérience commune, ou une situation historique ! Il faut la lier au sujet, elle doit servir à l’introduire.
Le mouvement cinématographique de la Nouvelle Vague apparu à la fin des années 60 illustre parfaitement l’état d’esprit moderne par le refus de la dramatisation, de l’identification au personnage qui fonctionnaient dans le cinéma classique. Les réalisateurs ont choisi de capter le réel dans ce qu’il avait de plus banal et de plus opaque. Ce vent de modernité qu’a connu tout le XXe siècle a fait naître des révolutions sur tous les plans artistiques, techniques, scientifiques. Ces révolutions ne vont pas sans des bouleversements psychiques qui poussent l’homme à se redéfinir.
Présentation de la question et de son originalité.
Le XXème siècle fait donc apparaitre la modernité comme la nouvelle manière « d’être » ; mais alors, on peut se demander, qu’est-ce qu’être moderne ?
Interrogation sur les termes du sujet.
Cette question soulève l’essence de la modernité : est-ce un état d’esprit ? Une manière de faire ou une manière d’être à revendiquer ?
Annonce du plan.
Il semble en tout cas que les artistes du XXe siècle font face à la nécessité de se positionner en rupture avec ce qui s’est fait avant. J’expliquerai dans une première partie de mon exposé en quoi consiste la manière moderne de faire. La revendication d’une liberté va avec la prise de conscience d’une condition humaine déchue à cause des multiples traumatismes qu’elle a subi, la manière de faire s’accompagne d’un état d’esprit, ce sera l’objet de ma deuxième grande partie. Enfin, dans une troisième partie, j’aborderai le paradoxe de la modernité, qui résulte de l’observation du fait que la modernité meurt au moment même où elle naît, en conséquence de la crise de sens qu’elle fait émerger chez l’homme qui ne se reconnaît plus en elle.
Annonce du premier argument.
Être moderne c’est avant toute chose être en rupture avec ce qui s’est fait avant. En effet, moderne vient du latin « modernus » qui désigne ce qui est récent, actuel, par opposition à ce qui s’est fait avant. Cette rupture prend la tournure d’une révolte par rapport au passé, à ce qui est vu comme ancien, et c’est donc la revendication d’une liberté.
Le sujet demande un point de vue historique sur la question, donc il faut faire apparaître des dates importantes.
La modernité commence à la fin du XIXe siècle et fini dans les années 70.
A. Des mouvements d’avant-garde artistique qui veulent nous mettre en contact avec un autre aspect de la réalité
La revendication de la liberté a lieu dans le domaine artistique et se manifeste dans les mouvements d’avant-garde comme l’impressionnisme, le futurisme ou encore l’expressionnisme. Les artistes refusent la peinture figurative qui consiste à représenter le réel tel qu’il est pour adopter des formes et des techniques de peintures non figuratives, voire totalement abstraites. Cela va contre les valeurs du symbolisme.
Définition – Point notion.
Le symbolisme est un mouvement littéraire et artistique apparu en France, en Belgique et en Russie à la fin du XIXᵉ siècle, en réaction au naturalisme et au mouvement parnassien.
Les peintres comme Picasso, Braque faisant partie du cubisme et les surréalistes comme André Breton, Kandinsky, Gorky ne se préoccupent pas de représenter le réel comme on le voit, ils cherchent plutôt à nous mettre en contact avec un autre aspect de la réalité.
Références.
Dans le Manifeste du surréalisme, André Breton le poète fait appel aux théories de Freud en soutenant que l’idée du surréalisme est de faire émerger l’inconscient dans la production artistique, qu’elle soit littéraire (écriture automatique) ou picturale. Par cette idée d’une vérité qui ne serait exprimée que dans le rêve ou dans la représentation non logique et non rationalisée par la conscience, le surréalisme met fin à la toute puissance de la conscience qui aurait elle seule accès à la réalité. La théorie de Freud a opéré une révolution dans le monde de la psychanalyse, et le surréalisme s’appuie dessus pour opérer la même révolution au niveau artistique.
B. Rupture avec le sujet qui était au centre dans le romantisme : au-delà du moi romantique et déconstruction du moi
Second sous argument avec une idée qui vient approfondir la première
La rupture n’a pas seulement lieu dans la peinture, elle a également lieu dans la pensée de l’homme qui se voit à travers les récits de fiction et la philosophie.
Référence philosophique.
Quand Wittgenstein écrit dans le Tractatus philosophicus que le « je » est seulement une frontière du monde et qu’il n’est pas au centre, il donne une nouvelle conception du sujet. Cette conception du moi au centre du monde était à l’œuvre pendant tout le romantisme comme nous l’avons vu avec Rousseau dans les Rêveries du promeneur solitaire qui exprime ses passions, ou Rimbaud qui s’épanche sur le ressenti d’un jeune de dix-sept ans. Le romantisme plaçait la sensibilité du sujet au premier plan. On s’intéressait à la vie intérieure du sujet pour décrire ses émotions et ses sentiments existentiels. Wittgenstein invite à déplacer ce regard et à nous décentrer de nous-mêmes pour ne plus considérer le « je » qui se dérobe toujours dès que l’on cherche à le définir.
Conclusion sur ce que l’auteur apporte à la thèse.
Être moderne ce n’est pas donc pas, d’après Wittgenstein, s’effacer ou se retirer du monde, c’est en quelque sorte déconstruire le moi romantique et retrouver un contact différent avec le monde, non plus dans l’épanchement des sentiments et l’exaltation de la sensibilité mais sur un mode plus neutre, moins incarné. On en a l’illustration dans le roman de Michel Butor, La Modification, où le sujet grammatical de la première personne du singulier n’est jamais employé, brouillant ainsi les repères qui permettent de distinguer le narrateur et les personnages.
Transition : petit bilan de la première partie de l’exposé, et questionnement sur sa suffisance, montrer qu’on ne peut pas en rester là.
La volonté de rompre avec ce qui s’est fait avant est notable dans les courants artistiques du XXème siècle. Le moi sensible n’est plus considéré comme le centre du monde parce qu’il est capable de tout conscientiser. Au contraire, avec la découverte de l’inconscient, les artistes s’en empare pour créer de nouvelles manières de peindre sans se soucier de l’imitation réaliste. Mais cette revendication d’une délivrance de la pensée classique et romantique va avec un désenchantement sur la condition humaine. La modernité n’est-elle pas la prise en compte sérieuse de la finitude humaine et de son impuissance ?
Annonce deuxième partie, en gardant toujours le sujet en tête et en reprenant explicitement ses termes.
Dans un deuxième temps, nous montrons qu’être moderne c’est aussi être conscient de la condition humaine, c'est-à-dire la fragilité humaine et sa finitude.
A. Il n’y a pas que le sujet pensant, facilement identifiable, il y a une réalité souterraine plus chaotique à explorer
L’époque moderne considère en effet qu’il y a une réalité souterraine plus chaotique, plus étrange, qui n’a sûrement pas encore été explorée et qu’il s’agit d’aller chercher. Il n’y a pas, dans le réel, que le sujet pensant facilement identifiable qui connaîtrait le monde qu’il habite par cœur jusque dans ses moindres recoins. La modernité s’illustre par une volonté de retrouver la relation d’étrangeté de l’homme à son monde, qui s’exprime dans le Nouveau Roman et notamment chez Duras dans Détruire, dit-elle. L’écrivaine raconte une sorte de rencontre entre deux personnages non identifiés sur un mode totalement anonyme. Nous n’avons pas de nom ni de caractérisation habituelle des personnages, il n’y a que des pronoms personnels « il » ou « elle » et du discours direct qui n’est rattaché à aucun des deux sujets. La volonté de rendre compte de l’étrangeté de la découverte d’autrui est plus proche de la vie réelle que dans les romans classiques. Il y a une sorte de perte de repère, ce qui rend le monde moins familier. Cela nous oblige à nous interroger davantage devant le monde incertain qui se présente à nous.
B. Traumatisme des guerres, chocs émotionnels : l’art trouve les moyens de les exprimer dans des formes nouvelles
Cette vision de l’humanité comme fragile, en manque de reconnaissance avec une existence menacée de destruction est décrite par Louise Bourgeois (une artiste sculptrice inclassable dans son genre) dans ses entretiens. Pour elle, l’art donne la possibilité de s’exprimer dans des formes non prédéfinies, mais c’est surtout un moyen d’exorciser ses démons. Lorsqu’on accepte l’idée qu’il n’y a plus de cadre auquel se référer, plus de normes, alors la liberté est totale mais cette liberté peut aussi être effrayante. Accepter le destin obscur et malheureux de l’humanité, c’est également pouvoir mieux s’en défaire ou mieux le surmonter. L’angoisse que définit Heidegger dans Être et Temps décrit parfaitement l’expérience de l’être moderne qui a du mal à se reconnaître, à se saisir et à vivre de façon authentique sans se préoccuper de rien. Le menace de vivre sur un mode impersonnel, le mode du « on » est toujours présente à son esprit. Être moderne c’est donc en un sens s’interroger sur son existence et ne plus la considérer comme évidente, simple et heureuse.
Néanmoins, cette prise de conscience du caractère vulnérable de l’humanité n’a pas que des aspects négatifs, elle nourrit l’espoir d’un avenir meilleur et d’une confiance dans le progrès. Être moderne c’est croire que le futur ne peut être que mieux que ce qui a précédé. C’est cette idée que soutient Pierre-André Taguieff dans Du Progrès en qualifiant le progrès comme étant « la religion des modernes ». Cette religion postule que la condition humaine est nécessairement en voie d’amélioration et ce qui en témoigne, c’est le progrès scientifique et l’accumulation des connaissances. Woolf dans Mrs Dalloway décrit par le biais de son personnage Mrs Dempster l’espoir que suscite le progrès technique que l’avion représente par exemple. En effet, il est le symbole d’une vie meilleure, il signifie qu’on peut voyager, échapper à sa maison et à la vitesse lente de déplacement du corps humain. Le progrès technique est un moyen de remédier aux défaillances humaines, il suscite donc beaucoup de convoitise et d’espoirs.
La modernité est alors synonyme de la prise de conscience d’une angoisse fondamentale de l’homme avec une étrangeté et une fragilité, or cette réalisation s’accompagne d’un espoir d’une vie meilleure, plus pratique, avec un regard tourné vers le futur et ses progrès.
Annonce troisième partie sous forme de question.
Cela ne veut-il pas dire que d’une certaine façon, la pensée moderne s’abolit en même temps qu’elle naît ?
III. Être moderne c’est également être anti moderne : l’essor du modernise coïncide avec son extinction
A. Voir la déchéance de l’homme dans le progrès et la crise du sens
C’est tout le paradoxe de la modernité : la déchéance de l’homme face à un monde qu’il ne maîtrise pas totalement conduit à une crise de sens. En même temps nous avons envie de croire que les techniques permettent de faire plus et mieux, et pourtant celles-ci présentent un aspect inhumain dans lesquelles l’homme, en tant qu’être fini et perdu, ne se reconnaît plus. Robert Musil dans l’Homme sans qualité parle de masses humaines qui grouillent dans des villes faites de béton, uniquement conçues pour la rentabilité et la vitesse. Tout est programmé, chronométré, calculé, au point qu’il n’y a plus de place pour la singularité des individus et la chaleur des rapports humains. Il fait la description d’un monde froid. Il y a une dissolution de l’individu en même temps que l’essor d’une vie moderne réglée sur des rapports utilitaires et impersonnels. Les hommes deviennent les machines qu’ils ont construit pour leur faciliter la vie, par contagion.
Être en rupture signifie être au fait de ce qui s’est passé avant. On ne peut pas totalement s’écarter de ce qui s’est fait avant si on ne le connaît pas, ce qui implique une certaine continuité dans le fait d’être moderne. C’est ce que Michel Henry dévoile dans l’art cubiste qui, nous l’avons vu, revendiquait une certaine rupture avec l’art figuratif. Cependant, par sa volonté de renouveler la vision en défiant ses lois, il renoue avec l’art sacré qui avait pour objectif de représenter la vie. Comme la vie ne se voit pas, qu’elle est invisible, d’une certaine manière le cubisme porte la même ambition de faire voir l’invisible. En pensant être totalement neuf et innovant, le cubisme reste en fait fidèle à une forme d’art bien plus ancienne. Dès lors, être moderne c’est aussi être anti moderne. On peut retrouver dans la volonté du neuf des formes très anciennes qui ont été enfouies, oubliées.
Récapitulatif des étapes de la réflexion et formulation d'une opinion personnelle.
Cette question de l’essence de la modernité nous a permis de découvrir les fondements d’une manière d’être, de penser et d’agir : d’un côté, il s’agit de renouveler la vision avec des formes d’art abstraites qui ne contraignent plus à devoir signifier quelque chose de logiques et immédiatement reconnaissables par l’intellect. La revendication de liberté des mouvements d’avant-garde nous offre un exemple de cette manière de penser. Celle-ci s’accompagne d’une vision plus globale de l’homme qui ne colle plus à la réalité et perd le privilège d’un contact immédiat, évident et facile. Le progrès technique et l’art sont là pour remédier à ce sentiment d’angoisse et de manque de reconnaissance. D’un autre côté, être moderne ce n’est pas que la critique d’un passé ou de la nostalgie, c’est aussi renouveler des envies plus anciennes parce que plus proche d’une humanité authentique. La modernité est de ce point de vue ambivalente dans sa volonté de rupture et de continuité. À trop vouloir être moderne, on oublie ce qui nous fait être pleinement humain : la vie
Les questions du jury et les réponses apportées sont des suggestions. Nous te conseillons de t’inspirer de la démarche et de la méthode pour le jour J, il n’est pas intéressant de les apprendre par cœur. En ce qui concerne les questions portant sur le projet d’études et professionnel, réfléchis-y en amont, tu auras forcément une question dessus !
Conseils :
Vous avez parler du cinéma de la Nouvelle Vague en introduction. Pouvez-vous me parler d’un film appartenant à ce mouvement ?
Réponse argumentée
J’aime beaucoup ce mouvement cinématographique. Il y a le film « A bout de souffle » qui parle d’un jeune voyou montant à Paris pour se faire un peu d’argent, il rencontre une américaine Patricia qu’il essaie de convaincre coute que coute de coucher avec lui. Elle tombe amoureuse de lui et ne le dénonce pas à la Police alors qu’il est recherché pour meurtre. Le film est emblématique de la nouvelle vague car il n’est pas filmé en studio, et avec très peu de moyen. Il est filmé caméra à la main, on y voit les acteurs déambuler dans Paris avec une façon de jouer très naturelle. Les dialogues sont très banals, les acteurs sont spontanés et n’ont pas le physique des grandes vedettes hollywoodiennes surmaquillés. On voit que Godard veut revenir à la simplicité et à ce qu’il peut y avoir de poétique dans le quotidien.
Réponse argumentée
Oui, celui de Walter Benjamin qui est passionné de photographie et de cinéma. Il dit que la caméra et les avancées techniques de la photographie permettent de filmer des choses d’une façon très différente, grâce aux gros plans et au ralenti par exemple. Ces techniques nous donnent une nouvelle perception des choses grâce à laquelle on va pouvoir décomposer notre vision et mieux appréhender la réalité. Le cinéma combiné à la science nous donnent une nouvelle conscience de l’espace et du temps.
Pensez-vous que l’agrandissement des villes et la vitesse gagnée avec les nouveaux moyens de locomotion soient une bonne chose pour la société ?
Réponse argumentée
En un sens, cela permet de donner à certaines personnes l’opportunité de faire de nouvelles choses, de prospérer dans leur vie professionnelle, d’avoir une carrière et de sortir de la campagne. Les avions permettent de traverses les frontières et de faire le tour du monde pour voir de nouveaux horizons et ne pas rester chez soi si on s’y sent mal. Mais d’un autre côté, le progrès technique nous fait parfois oublier l’essentiel et donne un cadre très contraignant aux individus. Je pense par exemple au taylorisme qui a été inventé à la fin du XIX siècle et qui a voulu transformer l’homme en machine en voulant décupler ses capacités de rendement. Ces techniques ont beaucoup servi notamment dans les usines où l’on fabriquait des voitures. Mais le travailleur était usé et ne pouvait plus réellement s’épanouir dans les petites tâches qu’on lui donnait.
Réponse argumentée
J’ai été frappée par l’œuvre d’Arshile Gorky The Leaf Of the artichoke is an owl peinte en 1944. La toile est l’expression de l’être intérieur de Gorky, au tournant entre le surréalisme et l’expressionnisme abstrait. Il empreinte les thèmes de prédilection des surréalistes : le rêve, l’association d’idées dans le titre, la sexualité. L’artiste crée des formes presque méconnaissables, sorties tout droit d’un imaginaire totalement irréel. Le spectateur doit faire un effort dans la reconnaissance de ces éléments toujours implicites et discrets. Rien n’est plaqué et on peut toujours projeter son propre imaginaire dans ces silhouettes avec plus ou moins de réalité. Ce serait comme une production brute de l’inconscient de Gorky, où chaque autre subconscient peut trouver refuge.