Quelles coopérations et rivalités internationales se révèlent à travers la conquête de L’Espace depuis le XXème siècle ?
Amorce
Le 20 juillet 2020, la première sonde provenant des Émirats Arabes Unis intitulée El Amal (Espoir) a été lancée inhabitée avec succès depuis le Japon, avec pour mission de récupérer de précieuses images de Mars. A l'instar des États-Unis, de la Russie, de la Chine ou encore de l'Union Européenne, les Émirats s'inscrivent dans une démarche d'exploration en prenant part à une compétition à la fois politique, économique et scientifique visant à percer les mystères du territoire spatial.
Contexte
Dès les années 1950, la communauté internationale est marquée par de nombreux exploits de la science en matière de conquête spatiale. L'enchainement de ces événements hors-du-commun symbolise en fait la réalité d'une guerre froide et d'une rivalité vive entre l'URSS et les États-Unis, déterminés à démontrer leur grandeur et leur supériorité. Aujourd’hui, 30 ans après le démantèlement de l'URSS et la fin d'un conflit de puissances, la conquête spatiale semble faire l'objet de nombreuses coopérations internationales, mais devient aussi le terrain de convoitises privées, on parle même d'une « commercialisation de l'espace ».
Problématique
Il convient ainsi de s'interroger sur la véritable nature de la conquête spatiale. En quoi incarne-t-elle la complexité des rapports géopolitiques propre à la conquête de territoires, entre tensions, coopérations et concurrence capitaliste ?
Annonce du plan
Nous répondrons à cette problématique en deux temps. Nous montrerons dans un premier temps que les conflits générés par la conquête spatiale sont hérités de la guerre froide, et le symbole d’une mondialisation à plusieurs vitesses ; et dans un deuxième temps, que l’Espace est également un terrain propice à de nouvelles alliances intergouvernementales.
Première sous-partie
Au cœur de la guerre froide se trouve une concurrence à toutes les échelles, et dans tous les secteurs, entre les deux grandes puissances du XXème siècle, l'URSS et les USA. A cette époque, la conquête spatiale impressionne, démontre une audace, une force scientifique et matérielle, et est l'incarnation symbolique d'un réel pouvoir : on devient maître d'un territoire inexploré. La compétition, entre les années 1950 et 1970, se caractérise par une surenchère d'innovations, et de « premiers exploits ». Premier être vivant, premier homme, premier satellite, chaque événement propulse la nation qui en est à l’origine, et renverse parfois le rapport de force.
C’est l'URSS qui surplombe la scène internationale avec le satellite Spoutnik 1 en 1957, puis en 1961 avec la présence dans l'espace du premier homme, Youri Gagarine. Les Etats-Unis, créent quant à eux la NASA en 1958 et rattrapent leur retard en 1969 grâce aux premiers pas sur la Lune. Ils remportent dans le même temps un combat « psychologique » : les retombées médiatiques étant telles que « la course à l'espace » semble jouée en leur faveur.
Deuxième sous-partie
Cependant, les tensions internationales ne s'arrêtent pas simplement à une liste de succès et d'innovations. Dans un système mondialisé, l'espace devient également un terrain d'opportunités pour de nouvelles sociétés privées. Arianespace, créée en 1980, est un opérateur de systèmes de lancement qui s'occupe de 50% des satellites géostationnaires mondiaux, pour des Etats mais aussi pour des organismes privés. D'autres sociétés, comme le géant indien Antrix, fonctionnent sur un modèle similaire. Le tourisme spatial se développe également, avec l'apparition d'agences telles que SpaceAdventures. On assiste ainsi à de nouveaux enjeux économiques car la conquête spatiale peut faire naître des industries à part entière, mais aussi accroitre la puissance de certaines entreprises déjà existantes : on peut par exemple citer la fructueuse SpaceX, fondée par Elon Musk.
Troisième sous-partie
La fin de la guerre froide n’a pas arrêté la course à la conquête spatiale entre les États. Parce qu’elle ouvre les portes à la découverte d’un territoire au potentiel immense, la conquête spatiale peut faire l'objet de convoitises étatiques ou entrepreneuriales privées. En outre, les enjeux géopolitiques de la conquête spatiale sont emprunts de l'idée que l'Espace pourrait être un nouvel habitat, accueillir des populations, constituer même un potentiel refuge en ces temps de déchéance écologique sur Terre.
Malgré une ambition spatiale limitée par ses relations avec l'URSS dans les années 1950, la Chine est aujourd'hui une puissance spatiale de premier ordre. Après avoir mis en orbite le premier satellite artificiel Dong Fang Hong en 1970, elle publie en 2000 un « livre blanc » dans lequel elle dévoile son ambition de développement spatial pour les années à venir. Le premier homme chinois est envoyé dans l'Espace en 2003 et en 2019, les missions lunaires se révèlent être des succès scientifiques. La Chine partage aujourd'hui ses projets en termes de construction de bases habitables, et est présente dans la course pour Mars. Cette force spatiale s'ajoute au développement très rapide de l'état chinois ces dernières décennies, et est susceptible de générer des tensions diplomatiques, le gouvernement chinois étant par ailleurs critiqué en raison de sa fermeture internationale ou de son système de surveillance strict. L'Espace peut en effet être une opportunité de développer cette surveillance, notamment avec le système de localisation chinois privé, Beidou
Transition
Nous avons vu dans une première partie que les conflits liés à la conquête spatiale sont hérités des rapports de force issus de la guerre froide. Nous nous intéressons dans une seconde partie à l’Espace comme un potentiel terrain d’unions intergouvernementales.
Première sous-partie
La conquête spatiale n'est pas qu'un terrain de conflits, mais également l'occasion pour les États de coopérer, d'unir leurs forces au service d'une aventure, d'une exploration. Bien que six pays seulement soient aujourd'hui en mesure de produire et d'envoyer des fusées, une cinquantaine de pays disposent d'au moins un satellite en orbite. Les systèmes de navigation privés par satellite deviennent accessibles au public et sont parfois le fruit de coopérations étatiques comme le Galileo européen. L'Espace est aujourd’hui une exploration commune et un sujet démocratisé : le savoir spatial se partage et s'enseigne, il devient le rêve de nouvelles générations, à l'heure de la conquête de Mars et de la recherche d'une vie extra-terrestre.
Deuxième sous-partie
Les accords et les nouvelles juridictions témoignent de cette envie de collaborer et d'organiser la mutualisation des puissances. Le traité de l'Espace, datant de 1967, marque le début de discussions communes et d'accords entre les deux grandes puissances rivales. Le traité définit les lignes directrices des futures réglementations internationales. L’accord de Washington, signé en 1998, est ratifié par 15 états et promeut la mise en place d'une réelle collaboration à des fins pacifiques conforme au droit international. La présence croissante de nouvelles juridictions témoigne d'un territoire de plus en plus tangible, accessible, et maitrisé. C'est la marque d'une société prête à encadrer un système inédit, à se développer et à aller vers le progrès.
Troisième sous-partie
Suite aux accords de Washington, la Station Spatiale Internationale voit le jour, véritable symbole d'une nouvelle ère de coopération en termes de conquête spatiale. Après des tentatives coûteuses d'élaborer des laboratoires spatiaux de la part des américains et des soviétiques durant la guerre froide, la station représente à la fois une innovation majeure et un véritable outil diplomatique. Depuis 2011, elle est constamment occupée par un équipage de six cosmonautes issus de différents pays, qui se relaient tous les six mois. Le laboratoire de la station permet de mener à bien des expériences scientifiques et de développer des technologies utiles à l'ensemble de la communauté internationale en termes de satellites, d'observations et de compréhension du système spatial. Le projet est toutefois soumis à certaines critiques, principalement économiques, en raison de son coût très important et des retombées scientifiques jugées trop lentes.
Par ailleurs, les enjeux de la conquête spatiale sont de plusieurs ordres : politiques, économiques, militaires, comme nous l'avons démontré tout au long de ce développement, mais aussi scientifiques. Ils donnent ou redonnent un pouvoir particulier à la Science qui est la discipline privilégiée de cette exploration. Les corps de métier propres à la construction et l'exploration spatiale deviennent ainsi des ressources particulières pour les états. La conquête spatiale est finalement pour tous une immense inconnue, une exploration dans laquelle l'humanité entière se retrouve dépourvue d'un grand nombre de connaissances.
Nous venons de voir que la conquête de l’Espace est à la fois un terrain de conflits et d’ententes au niveau géopolitique.
Objet de tensions et de rivalités en tant que source d’opportunités économiques importantes et en tant qu’outil de démonstration de la puissance d’un Etat, la conquête spatiale unit également, et paradoxalement, autour d’une volonté collective de découvrir un univers inconnu, et de faire évoluer les connaissances humaines. A ce titre, elle donne un pouvoir nouveau et particulier à la Science : les corps de métiers propres à la construction et à l’exploration spatiale sont désormais de précieuses ressources pour les Etats.
En bref, la conquête de l’Espace transforme le rapport au territoire et au pouvoir, et se veut par conséquent, l’un des principaux enjeux des générations à venir, à tel point que les cartes géopolitiques et la perception du monde pourraient en être profondément modifiées.