Explication de texte
Gaston Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, 1934
NOTIONS : La science - La raison
"Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne. L'observation scientifique est toujours une observation polémique; elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation; elle montre en démontrant; elle hiérarchise les apparences; elle transcende l'immédiat; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique."
Gaston Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique, 1934, © PUF, D. 16.
Corrigé
Introduction
Thème
Dans ce texte, extrait de l’œuvre Le Nouvel Esprit scientifique de 1934, Bachelard traite de l’observation et l’expérimentation en tant que ce sont les deux grands outils du travail scientifique.
Problème
Bachelard cherche dans ce texte à répondre à la question : Pourquoi la nature oblige-t-elle la pensée à engager un combat contre les apparences ? Quels sont les "adversaires" de l’activité scientifique ?
Thèse
Il affirme ainsi, en réponse au problème sous-jacent de son texte, que la science ne se borne pas à décrire les phénomènes. Face à la nature, la raison ne peut rester passive et doit se méfier. Ce ne sont jamais les réponses les plus évidentes qui sont les premières, il faut engager un combat entre la pensée, d’une part, et les apparences, les données immédiates, les premières "évidences" d’autre part.
Enjeux
Cette thèse a des conséquences épistémologiques puisque Bachelard redéfinit le travail du scientifique comme un travail actif de méfiance à l’égard du réel.
Annonce de plan
Bachelard démontre sa thèse en deux étapes. Dans une première partie, de la ligne 1 à la ligne 7, il développe sa conception de l’observation non pas comme une contemplation passive mais au contraire active. Dans un second temps de la ligne 7 à la ligne 12, il aborde la question de l’expérimentation en tant qu’elle est l’étape suivant l’observation et se caractérisant par un rapport encore plus conflictuel et polémique au réel.
Développement
Première partie - L’observation, qui semble être la démarche la plus simple de l’activité scientifique, ne peut se résumer à une contemplation passive du réel
Première sous-partie - L’interprétation spontanée est erronée et le scientifique doit prendre des précautions (lignes 1 à 3)
Ce que dit l’auteur
Selon Bachelard, le premier regard que l’on porte sur un phénomène ou un fait observable est nécessairement erroné, il faudra un travail plus approfondi de la raison pour inspecter les observations et en juger convenablement. En d’autres termes, il faut se méfier de la première observation.
Ce que fait l’auteur
Ici Bachelard met en garde les scientifiques qui se fient trop vite aux premiers résultats et, par là même, énonce sa méthode scientifique, à savoir qu’il faut doubler l’observation d’une réflexion.
Pourquoi l’auteur dit cela ?
Ce passage est la toute première étape de son raisonnement qui vise à montrer que l’observation doit être accompagnée de réflexion et de vigilance.
Exemple et référence
Problèmes et limites
Une des limites de cette première partie, et de tout le reste de l’extrait d’ailleurs, est le manque d’exemples, ainsi il serait pertinent d’en fournir nous-même afin d’illustrer le développement de Bachelard.
Deuxième sous-partie - Les observations répondent à des questions préalablement formulées (lignes 3 à 5)
Ce que dit l’auteur
Les nouvelles observations sont nécessairement "polémiques" parce qu’elles s’opposent ou entrent en contact d’une manière ou d’une autre avec des thèses et théories précédemment formulées que ce soit pour les critiquer ou pour les compléter. Ainsi une observation fait toujours partie d’un cadre particulier et répond à une question.
Ce que fait l’auteur
Ici Bachelard montre pourquoi il faut se méfier des premières observations. Il explique qu'elles font toujours sens avec d'autres théories déjà existantes, et qu'il convient de bien examiner ces théories avant de les considérer comme vraies.
Pourquoi l’auteur dit cela ?
On touche ici au cœur de la pensée de Bachelard et du problème qui est posé dans ce texte. En effet, c’est précisément parce que l’observation est polémique qu’elle fait l’objet de la réflexion.
Exemple et référence
Troisième sous-partie - L’observation reconstruit le réel (lignes 5 à 7)
Ce que dit l’auteur
L’observation est ce qui permet de reconstruire le réel en se basant sur des schémas préalablement établis et des théories existantes. Elle n’est qu’une manière de lire le réel, suivant un schéma explicatif qu’adopte le scientifique qui mène l’observation.
Ce que fait l’auteur
Ici Bachelard, après avoir énoncé que l’observation est polémique, montre en quoi elle l’est réellement en se reposant sur d’autres schémas préalablement posés.
Pourquoi l’auteur dit cela ?
Bachelard en vient ainsi à affirmer que toute observation n’existe et ne peut être faite que parce qu’il existe des présupposés qui le permettent. Toute observation se construit avec des cadres de pensées préexistant, ainsi la dimension polémique de l’observation est essentielle.
Exemple et référence
Ainsi l’observation est profondément polémique d’abord parce qu’il faut se méfier des premières observations, mais aussi parce que les observations s’encadrent dans des schémas de pensée déjà définis et qu’elles confirment ou invalident des observations précédemment réalisées. Néanmoins l’observation n’est qu’une partie du travail en science, et cette première partie sur l’observation permet à Bachelard d’introduire dans une seconde partie l’expérimentation comme un outil scientifique lui aussi polémique.
Deuxième partie - L’expérimentation
Première sous-partie - L’expérimentation est encore plus polémique que l’observation (lignes 7 à 9)
Ce que dit l’auteur
Le passage de la première étape de la démarche scientifique, à savoir l’observation, à la seconde étape, l’expérimentation, est marquée par une complexification des rapports aux théories, l’expérimentation est encore plus polémique que l’observation, pourquoi cela ?
Ce que fait l’auteur
Ici Bachelard, en abordant la deuxième étape de la démarche scientifique, distingue l’observation de l’expérimentation comme deux opérations bien distinctes mais ayant un point commun, à savoir leur caractère polémique.
Pourquoi l’auteur dit cela ?
Le fait que Bachelard aborde non seulement le thème de l’observation mais aussi celui de l’expérimentation en les liant par le fait qu’ils soient tous deux polémiques permet de comprendre que, selon Bachelard, la science est une pratique polémique qui se construit sur une discussion incessante entre les différentes théories.
Deuxième sous-partie - Une réalité reconstruite par la science et par les instruments scientifiques (lignes 9 à 11)
Ce que dit l’auteur
La raison doit simplifier les données pour pouvoir dégager des régularités puis des lois. La réalité est trop complexe pour être étudiée frontalement.
Ce que fait l’auteur
Ici Bachelard donne une conséquence, visible par le mot "alors", et cette conséquence est également une précaution, "il faut que". Ainsi l’auteur donne la méthode qu’il faudrait suivre pour réaliser de la bonne manière une expérimentation.
Pourquoi l’auteur dit cela ?
La simplification du réel passe par la réduction des phénomènes à leur nature essentielle pour en tirer ce qui est utile. Or ce qui est utile diffère en fonction des différents scientifiques et de leurs attentes. Ainsi l’expérimentation est une partie tout aussi polémique que l’observation puisqu’elle requière l’utilisation d’instruments permettant la lecture des phénomènes sans que ces instruments soient neutres.
Problèmes et limites
Les outils sont certes utilisés lors des expérimentations, mais ils sont aussi utilisés lors de l’observation, ainsi les instruments d’observation sont tout aussi imbibés de théorie que les instruments d’expérimentation.
Troisième sous-partie - Les instruments dépendent eux-mêmes d’une théorie et d’un cadre de pensée particulier (lignes 11 et 12)
Ce que dit l’auteur
Toute observation et expérimentation est faite à partir d’instruments de mesure, or ces même instruments sont le résultat d’autres théories, par conséquent, aucune observation ou expérimentation ne peut être neutre.
Ce que fait l’auteur
Ici Bachelard arrive au terme de la résolution du problème de son texte, puisqu’il montre que ce sont les instruments qui incarnent le mieux la dimension polémique de la science. En effet, ils sont des "théories matérialisées" qui produisent des phénomènes profondément emplis de théorie. Si les instruments aident à développer des théories, c’est qu’ils sont déjà eux-mêmes des théories matérialisées.
Exemple et référence
Conclusion
Pour Bachelard, l’activité scientifique est comme un combat, il faut se battre pour ne pas tomber dans l’erreur et les apparences. Il ne s’agit pas seulement des phénomènes eux-mêmes, qui nous tromperaient en ne donnant que des aspects partiels et déformés de la réalité. Il s’agit surtout de la pensée du chercheur lui-même, qui devance toujours l’observation par des schémas et des pensées. Quand cette activité est consciente on l’appelle démarche hypothétique, elle consiste à poser des questions et à trouver des réponses que l’on pourra ensuite tester. Mais cette activité peut aussi être inconsciente, ce sont alors des cadres, des schémas, des éléments théoriques qui peuvent empêcher l'individu de voir ou de se poser les bonnes questions Ainsi le chercheur n’a pas seulement la nature comme adversaire mais aussi sa propre pensée.