Le travail, servitude ou liberté ?
NOTIONS : LE TRAVAIL ET LA TECHNIQUE – LA LIBERTÉ
Analyse des termes du sujet : définitions et distinctions
Le travail est l’activité humaine qui consiste à modifier des éléments naturels pour fabriquer des choses utiles à son existence. Il requiert un effort, par opposition au jeu et au loisir. On peut considérer qu’une activité est libre lorsqu’elle fait l’objet d’un choix non contraint. A l’inverse, nous sommes dans la servitude lorsque nous agissons sous contrainte extérieure.
Première hypothèse
A première vue, le travail est une contrainte nécessaire pour satisfaire nos besoins : dans le monde moderne, on travaille pour gagner de l’argent pour vivre. Le travail est précisément l’activité que l’on fait en vue d’autre chose, et non pour elle-même, c’est pourquoi il est considéré comme pénible : en cela, le travail semble relever davantage de la servitude que de la liberté.
Deuxième hypothèse
Pourtant, le travail est souvent valorisé comme une source d’estime de soi et de reconnaissance sociale, car il rend indépendant et permet de développer ses capacités. Individuellement, lorsque l’on travaille, on ne dépend pas de ses parents ou des autres pour manger ou se loger ; et collectivement, c’est par le travail que les hommes se rendent indépendants de la nature et de ses aléas, en la modifiant pour la mettre à leur service.
Problématique
Cette question pose donc problème car on ne sait pas si le travail est une soumission aux nécessités vitales ou une source d’indépendance.
Enjeux
Cette question a des enjeux politiques et existentiels car il s’agit de savoir s’il faut ou non mettre le travail au centre de nos vies et de l’organisation sociale ou plutôt chercher à s’en passer.
Annonce de plan
Dans un premier temps, nous étudierons la première hypothèse selon laquelle oui, le travail est source de servitude car il est une soumission à des contraintes extérieures. Dans un deuxième temps, nous étudierons la seconde hypothèse selon laquelle non, le travail est source est de liberté car il nous rend indépendant de la nature et permet l’accomplissement de soi. Enfin nous essayerons de sortir de ce problème en distinguant les conditions selon lesquelles le travail est aliénation et les conditions selon lesquelles le travail peut être accomplissement de soi.
Argument 1
Parce que le travail est pénible, à l’inverse du jeu ou du repos qui se caractérisent par le plaisir.
Exemple 1
L’Ancien testament (Genèse, 3:19) illustre cette hypothèse en associant la nécessité de manger à une activité fatigante : «C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain » . Dans l’imaginaire judéo-chrétien, le fait de travailler est donc lié à la finitude de la condition humaine.
Argument 2
Parce que le travail vise à satisfaire nos besoins vitaux, à l’inverse du sport ou de l’art, activités parfois difficiles mais libres car on peut choisir d’en faire ou non.
Exemple 2
Un boxeur professionnel et un boxeur loisir n’ont pas le même rapport à leur activité : l’un peu choisir de se rendre à l’entraînement ou non, l’autre pas car il a besoin de cette activité pour vivre.
Dans La condition humaine, Hannah Arendt distingue le travail à la fois de l’action et de l’œuvre. Selon elle, le travail manifeste notre soumission à la nécessité biologique et à ses rythmes, c’est pourquoi il est associé à l’esclavage dans l’Antiquité.
Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)
Le travail semble pouvoir être considéré comme une servitude car il est essentiellement lié à la peine et à la nécessité vitale, non au plaisir et au libre choix.
Objection
Mais cette thèse pose problème car le travail est également une source d’indépendance pour l’individu adulte qui contrairement à l’enfant ou au vieillard ne dépend pas d’autrui pour vivre, et pour les collectivités humaines qui contrairement aux animaux ne dépendent pas entièrement de la nature pour satisfaire leurs besoins.
Argument 1
Parce que le travail est pénible, mais il permet à l’individu de développer ses capacités en se mettant à l’épreuve de la contrainte extérieure.
Exemple 1
Le boxeur professionnel, précisément parce qu’il est contraint par une forme de nécessité vitale, développe davantage ses capacités de force, d’agilité et de stratégie que le boxeur loisir.
Argument 2
Parce que le travail individuellement nécessaire, mais il permet aux sociétés humaines de se libérer des contraintes naturelles.
Exemple 2
Le réseau routier, construit par des esclaves dans l’Antiquité, permet par ses tunnels et ses ponts de traverser les limites naturelles que forment les montagnes et les fleuves.
René Descartes, dans le Discours de la méthode, explique que l’homme pourrait se rendre « comme maître et possesseur de la nature » grâce aux applications techniques de notre connaissance des lois de la nature.
Bilan (reprise des termes du sujet et réponse provisoire au problème)
Le travail semble plutôt être source de liberté car il permet aux individus de développer leurs capacités et aux collectivités de s’affranchir des contraintes naturelles.
Objection
Mais cette thèse pose également problème car les conditions de travail moderne ne permettent souvent pas le développement personnel, et l’affranchissement collectif vis-à-vis des contraintes naturelles pose des problèmes écologiques.
Le travail est source d’aliénation dans le mode de production capitaliste, mais de liberté lorsque les individus maîtrisent le sens de leur tâche
Argument 1
Parce que le travail salarié moderne aliène l’individu par la mécanisation, la spécialisation des tâches et l’exigence de productivité qui sont liées au mode de production capitaliste.
Exemple 1
Dans le film Les temps modernes, Charlie Chaplin montre comment les conditions du travail en usine (parcellisation des tâches, rythme effréné, répétition, obéissance aveugle) prive l’ouvrier de la maîtrise de ses gestes et donc de sa liberté.
Argument 2
Parce que le travail est source de dignité et d’accomplissement de soi lorsque les individus qui forment la collectivité choisissent le but et les conditions de leurs activités, donc qu’ils maîtrisent le sens de ce qu’ils font.
Exemple 2
Le travail artisanal ou le soin, lorsque les conditions de travail ne sont pas soumises à la seule exigence de la rentabilité, permettent au individus de comprendre le sens de ce qu’ils font même si cette activité leur est nécessaire pour vivre.
Karl Marx, dans le Capital, montre en quoi les conditions objectives du travail moderne rendent l’ouvrier étranger à lui-même parce qu’il entraîne une pauvreté spirituelle et matérielle ; mais également en quoi un travail dont on peut représente le but exige une attention physique et mentale source de réalisation de soi.
Résumé des trois parties
Nous avons d’abord montré que le travail était source de servitude parce que loin de faire l’objet d’un choix, c’est une activité pénible et soumise aux nécessités vitales. Mais le travail permet également aux individus de développer leurs capacités et aux collectivités de s’affranchir des contraintes naturelles, ce qui en fait alors une source de liberté. C’est pourquoi dans un dernier moment nous avons distingué des conditions dans lesquelles le travail entraîne l’aliénation, lorsque le travailleur est privé de l’accès au sens de ce qu’il fait, et des conditions dans lesquelles le travail est source de liberté, lorsque l’organisation matérielle du travail permet aux travailleurs la maîtrise du sens de leur geste.
Enjeux de la réponse proposée
Si nous prenons cette réponse au sérieux, les conséquences sont la transformation de l’organisation sociale du travail, afin qu’il permette aux travailleurs d’accéder au sens de ce qu’ils font. Cela implique de poser la question de la mécanisation, de la parcellisation des tâches et de la séparation du travail manuel et intellectuel dans nos sociétés modernes.